27 novembre 2005



De haut en bas: Khandchendzonga, 8598 m. Khangchendzonga et moi. Shittie, mon petit compagnon nepalais.

Incursion dans l'Himalaya

Faune et Flore de l'Himalaya

2000 metres de denivellation separent Siliguri, juste au-dessus du Bangladesh, de Darjeeling, station touristique celebre pour son the. C'est une ascension vertigineuse pour entrer dans l'enorme forteresse qu'est la chaine de l'Himalaya. La route sinueuse m'a fait penser a la tristement fameuse Route de la Mort pres de La Paz, a la seule difference qu'ici, on apercoit encore le bord de la route en regardant par la fenetre du bus. En trois heures de temps, on passe des plaines chaudes du nord de l'Inde a de froides montagnes. Mais arrive a Darjeeling, on est surpris de decouvrir une vegetation luxuriante couvrir les montagnes avoisinantes. Moi qui adore la nature, j'ai ete everveille par la faune et la flore uniques qui prosperent dans l'Himalaya. Les forets, veritables jungles d'une densite extraordinaire, se composent de pins de l'Himalaya, de cedres et de peupliers entoures de fougeres et d'enormes rhododendrons. Ces arbres sont eux-memes couverts de mousses, d'herbes et de plantes grimpantes de toutes sortes. Il y a deux especes de bambous, dont la plus grande jette au ciel ses pousses verticales, droites comme la queue de Rocco, a plus de dix metres de hauteur. Ces bambous sont d'une solidite a toute epreuve et sont utilises pour construire des echafaudages a travers l'Asie.

Dans ces forets vit le petit panda, creature de la taille d'un gros chat couverte d'une epaisse fourrure rousse, qui passe ses journees a sommeiller dans les arbres et descend la nuit pour se nourrir de pousses et de feuilles de bambous. Cette region de l'Inde abritait autrefois son cousin le grand panda, autre bouffeur de bambou, qui est maintenant confine au pays des bouffeurs de riz. Ici vit egalement la civette, sortre de martre au museau pointu et au poil dru et le loris qui a les habitudes et l'allure lente du paresseux d'Amazonie. L'ecureuil volant plane d'arbre en arbre en deployant la peau fine tendue entre ses quatre membres. L'ours de l'Himalaya, plutot paisible, arbore une demi-lune sur son torse. Sous de plus hautes altitudes on trouve des animaux plus spectaculaires comme le yak, qui n'apparait qu'a environ 5000 metres, le migou (yeti) qui aime le whiskey et le leopard des neiges. Je ne sais pas quel est l'altitude qui delimite l'aire de repartition du leopard commun, largement repandu dans tout le subcontinent, de celle du leopard des neiges. Au zoo himalayen de Darjeeling, il y avait une troisieme espece de leopard dont j'ignorais l'existence et qui surpasse les deux autres par sa beaute: le "clouded leopard" (leopard nuageux?), nomme ainsi a cause des grandes taches allongees qui couvrent son pelage.

Le the

La region reculee ou le Yang-Tse-Kiang et le Brahmaputra prennent leurs sources, aux confins de la Chine, du Bhutan et de l'Inde, est le lieu d'origine du the. Longtemps monopolisee par la Chine, sa production a ete etendue par le colon anglais a l'Assam, a la region de Darjeeling et aux collines du Sri Lanka (Earl Grey), entre autres. La methode de preparation du the noir, qui differe de celle du the vert traditionellement utilisee en Chine, a ete empruntee par l'Anglais aux ethnies tribales de l'Assam. A Darjeeling, l'octopus s'est faufile dans une fabrique de the pour assister a ces procedes de production.

Le the est un arbuste qui peut atteindre deux a trois metres de hauteur. Dans les plantations, la hauteur des plantes est maintenue a 60-70 centimetres par les coupes annuelles. Celles-ci sont destinees a faire jaillir de nouvelles feuilles des rameaux chaque annee. A la cueillette, seules les trois feuilles a l'extremite de chaque rameau sont recoltees. Ces feuilles sont placees sur une sorte de longue table a trous, par lesquelles souffle de l'air chaud. Les feuilles sechent ainsi pendant une vingtaine d'heures, ce qui reduit leur teneur en eau de 50-60%. Elles passent ensuite dans une centrifugeuse qui separe les feuilles les unes des autres, les font s'enrouler sur elles-meme et repoussent l'humidite vers leur surface. Les feuilles sont alors mises a fermenter pendant environ 3 heures de temps. Le temps de fermentation est crucial, car c'est elle qui donne au the sa saveur caracteristique. Les feuilles passent ensuite dans une machine a air chaud qui stoppe la fermentation et extrait l'humidite restante. Finalement, les feuilles assechees sont triees pour definir des thes de qualite et de prix differents: les dernieres feuilles qui venaient de bourgeonner donnent le the de plus haute qualite. Les deuxiemes et troisiemes feuilles forment les categories suivantes. Les morceaux de feuilles brisees et les tiges sont le the de qualite inferieure. Le the est ensuite envoye a Calcutta pour etre scrupuleusement goute et classe par des gouteurs de the professionels. Des sortes d'oenologues du the quoi.

Nepalais et Tibetains

La majorite des la population de la region de Darjeeling est nepalaise. Les Nepalais sont basanes comme les Indiens, mais ont le teint mat alors que les Indiens sont plus chocolat. Ils ont les yeux brides, mais pas autant que les Chinois, et des traits asiatiques, mais sans les pommettes saillantes des guerriers mongols. La langue nepalaise est sans relation avec l'Hindi, mais les deux utilisent la meme ecriture, qui ressemblent a des vetements mis a secher sur une corde. Et les Nepalais sont hindous de religion. Ils m'ont paru plus reserves et moins bruyants que les Indiens. Ils sont habilles de facon plus occidentale, les filles portent meme des jeans, ce qui est rare sur le subcontinent ou le sari est de mise.

A Darjeeling, il y a beaucoup de drapeaux tibetains (quel beau drapeau, presque aussi beau que celui de l'Argentine) et des portraits du Dalai-Lama dans tous les coins a cause de l'emigration tibetaine qui a eu lieu sous le coup de l'occupation coco-chintok. On peut gouter aux momos, delicieux raviolis a la viande frits ou cuits a la vapeur (ce sont les jiaozis chinois) et a la thugpa, la grosse soupe paysanne aux nouilles et a la viande. Yammy. La cuisine tibetaine est un delice.

Khangchendzonga

Tenzing Norgay Sherpa accomplit avec Edmund Hillary la premiere ascension de l'Everest en 1953 (avant cela, il avait accompagne les tentatives infructueuses suisses). Il a grandi a Darjeeling et il est le heros local. Le musee de l'Everest de Darjeeling lui est dedie, ainsi qu'a d'autres pointures de l'alpinisme. Reinhold Messner y figure parmi les plus illustres, lui qui inaugura une nouvelle route au sommet de l'Everest en solo et sans oxygene artificiel. Il est egalement le seul homme a avoir gravi les 14 pics culminant a plus de 8000 metres. Et moi qui n'en avais jamais entendu parler avant que notre ours grison tue l'un de ses yaks. Shame on me.

De Darjeeling, on apercoit le mont Khangchendzonga, qui culmine a 8598 metres, ce qui en fait le troisieme plus haut tas de cailloux au monde apres l'Everest (8848 m) et le K2 (8611 m).

Anniversaire belge

Le 17 novembre, arme d'une bouteille de pinard indien, je me levai a l'aube et me lancai sur les traces du capitaine Haddock a la conquete de l'Himalaya. Le trek devait durer quatre jours et son itineraire suivait le trace de la frontiere indo-nepalaise. Je suivis mon guide pour gravir les 1000 metres de denivellation qui devait nous mener a Tumling, petit village nepalais a 3000 metres d'altitude. Mon guide n'avait pas l'allure d'un guide de haute montagne: c'etait un sympa teenager aux pompes de skater qui passa son temps a me raconter ses exploits amoureux avec la gente feminine de Darjeeling.

Ce premier jour d'excursion nous mena a travers les magnifiques forets himalayennes que j'ai decrites auparavant. Je soufflais comme un boeuf sous mon sac a dos mais ca ne m'empecha pas d'apprecier le paysage. Les nuages qui caressaient la montagne lui donnaient un air lugubre et mysterieux. La foret etait sombre et denuee de toute trace de vie. Je n'entendais que les corbeaux qui croassaient et quelques esprits qui toussotaient. La mousse qui couvraient les arbres et les herbes qui pendaient des branches me faisaient penser a la Spanish moss qui donne cet air si particulier, melancolique et mysterieux, aux arbres de Savannah, au sud des Etats-Unis. Ainsi la foret himalayenne, traversee par la vapeur des nuages, prenait des allures mystiques. Je retins mon souffle. J'essayai d'user de mes yeux comme des papilles gustatives pour jouir au mieux du spectacle. C'est une chose que je fais parfois en voyage: j'essaie de me concentrer intensement sur ce que je vois pour bien l'imprimer dans mon cerveau, car je sais que je ne le verrai plus jamais. Je deguste avec mes yeux, comme on le fait avec la bouche quand on savoure quelque chose de succulent: un bon vin, une huitre ou un nichon. Je me souviens m'etre plonge dans mes yeux de la sorte a Macchu Picchu, a Huang Shan, sur le pont Charles a Prague. Je le fis aussi le lendemain en admirant Khangchendzonga.

Le village ou nous fimes halte etait du cote nepalais mais la frontiere indienne longeait les quelques maisons. Bien que je dormis du cote nepalais, je pris l'habitude d'aller faire mes besoins du cote indien. Peut-etre parce que je me disais que ce cote etait deja tout cochonne, de toute facon.

Dans l'auberge, quatre pompiers belges qui faisaient la meme excursion me proposerent du whisky ecossais pour me rechauffer. Un epais brouillard nous glacait les os. Bien que la temperature ne soit pas tres basse, l'air charge d'humidite nous donnait une sensation de froid intense. C'est une lecon que m'a appris un sec du plateau, qui me revela qu'un jour qu'il se leva a quatre heures pour attraper le transsiberien a Irkoutsk, le mercure affichait -35 degres mais il n'avait pas froid. Parce que l'air la-bas est totalement sec.

Apres avoir fini le whiskey, j'invitai les Belges a partager mon pinard pour celebrer le debut de la trentieme annee de ma vie. Feter son anniversaire avec quatre pompiers belges, dans un village nepalais, voila au moins quelque chose de bien absurde. C'est un peu du meme ordre que de feter Halloween avec des ornithologues tcheques dans une mosquee a Tombouctou. Mais les flamands de Gant etaient fort sympathiques. L'un d'eux raconta comment, lors de sa traversee de la Siberie en moto, il avait poursuivi a moto a travers une foret et jete a terre en pleine course deux voleurs qui lui avaient subtilise son casque. Une autre me raconta que c'etait son propre cousin qui avait invente le fameux siege ejectable pour helicoptere dont l'armee belge a equipe tous ses appareils.

Le pinard indien, etonnament, etait delicieux . Les Nepalais ne l'appreciaient pas mais nous proposerent de l'alcool de riz du Sikkim et du rum nepalais. Le meilleur fut la "biere" tibetaine: celle-ci consiste en des grains de millet mis a fermenter dns une grosse chope en bambou, dans laquelle on verse de l'eau chaude. Apres que l'eau se soit bien impregne d'alcool de millet, on sirote le liquide a l'aide d'une paille en bois. Yam.

Mais ce soir-la, l'air rarefie de l'altitude, qui ne parvenait pas a se frayer un chemin dans les corridors obstrues de mes sinus malades, ne me laissa pas dormir en paix. Je me mis a sniffer du sel pour degager mes voies nasales et tombai dans un demi-sommeil agite. Je revai que j'avais avale un gros epis de mais entier qui me torturait l'estomac. Je m'eveillai tout fievreux et nauseeux. En me levant a l'aube pour admirer Khangchendzonga, j'avouai aux sapeurs belges que je n'avais pas la force de poursuivre l'excursion. Mais quelle belle montagne, Om Nama Shiva! Pendant quelques instants, je reussis a transformer mes yeux en papilles a nouveau.

Puis le brouillard se leva et je passai la journee a attendre ma jeep avec le petit chat Shittie au coin de l'atre, essayant de contenir ma nausee. Je redescendis a Darjeeling dans une jeep bondee d'Indiens buvant, fumant et criant... La jeep s'arretait a chaque buvette au bord de la route et moi je ne comprenais pas quel plaisir ils tiraient a faire les cons dans le froid et le brouillard. J'avoue les avoir hai, et je me demandai pourquoi j'etais venu passer mon anniversaire dans ce froid que je deteste. Mais cette courte experience de froid et de grisaille me fis bien comprendre pourquoi j'ai fui le Novembre suisse. Je me rappelai comment je m'etais dit que je preferais passer l'automne colle a des toilettes turques avec une grosse diarrhee en Inde, plutot que de passer par la deprime d'un novembre a Zurich. Mais je ne suis meme pas passer par la: le lendemain, mes maux de ventre avaient disparu, et je gagnai Siliguri, la ou il fait chaud. Et mon paquet d'Immodium est toujours intact!

En redescendant a Siliguri, j'ai vu des types qui jouaient aux cartes sur les rails de chemin de fer. Et quand on s'est arrete pour boire un the, la patronne de la buvette coupait son fromage au hachoir a cote d'un petit chat qui dormait. Ca, c'est le genre de trucs pour lesquels j'apprecie l'Inde. Ca semble sortir d'un film de Kusturica.

Arrive a Siliguri, je m'installai dans un bon hotel pour me reposer et suivre les exploits de mon heros, Roger Federer, au Masters de Shanghai.

Aucun commentaire: