26 février 2006



Jogjakarta by night


Jogjakarta



Le volcan Merapi pres de Jogjakarta sur l'ile de Java

L'ascension du Merapi

L'ultime phase de mon periple a travers les fougeux oceans et les sauvages vallees de notre planete s'annonce mouvementee. Papouasie, Sydney, Auckland, Iles Fidji, San Francisco, Montreal. Tout cela en 12 vols et moins de deux mois. Quel boulot! Alors, avant de partir a l'assaut de la Papouasie, j'ai decide de me reposer quelques jours a Jogjakarta, au coeur de l'Indonesie que j'adore. L'occasion d'acheter du bon insecticide ou, le cas echeant, de jouir de mes derniers jours de bonne sante avant de me faire injecter la malaria par quelque sournois moustique papou.

L'adage dit: Si a Jogjakarta tu sejourneras et le Merapi ne verras, idiot et senil tu mourras.
Interpelle par ce dicton, j'ai profite de mon sejour jogjien pour tenter l'ascension de Gunung Merapi, l'un des plus farouches volcans au monde. Son enorme silhouette pyramidale domine la belle cite de Jogjakarta. Il culmine a 2911 metres, altitude largement superieure a celle du Chasseral qui, est-il superflu de le rappeler ici, est le plus haut pic de mon jura natal. C'est pas rien.

Merapi est une vrai montagne-dragon, un volcan qui rigole pas. Ses eruptions se compte par dizaines sur le dernier siecle. Sa derniere colere date de 1994. 60 personnes en furent victime, qui n'eurent pas les jarrets assez vigousses pour echapper a l'ire du monstre. Depuis lors, de grosses coulees de lave et d’occasionnels tremblements de terre ont pousse le Centre Volcanologique de Merapi a engager deux nouveaux employes. De fait, l’ascension du volcan est strictement deconseillee a qui ne se trouve pas dans la phase ultime d'une maladie mortelle et incurable. On peut neanmoins se rapprocher a une distance raisonnable du volcan. Avec un peu de chance, on le verra baver un ruisseau de lave.

Afin d'eviter de tomber sur de la roche en fusion au detour d'un sapin, il est preferable de faire appel aux services d'un guide local. C'est ce que nous avons fait, Pipin et moi. Le depart a ete fixe a 3h 30 du matin de Kaliurang, sur le flanc du volcan. Il faudrait quelques heures de marche a travers la foret pour atteindre le point duquel nous allions assister au lever de soleil sur le volcan en prenant notre dejeuner.

Savez-vous que le cerveau humain dispose de ressources etonnantes? Meme lorsqu'on le croit deconnecte sous l'effet du sommeil, il est capable d'actes reflechis. Les dits actes sont souvent commis dans le seul but de preserver le sommeil lui-meme.

Ce soir-la, je fus victime des facultes intra-sommeil de mon cerveau. Par je ne sais quel subterfuge, il trouva le moyen de tenir la partie consciente de ma matiere grise, celle capable de volonte, submergee dans le monde de Morphee et, de l'autre main, de mettre hors circuit mon fidele telephone portable qui s'appliquait a sonner comme un forcene (je n'ai pas a proprement parler assister a la scene, mais j'imagine que c'est comme cela que ca a du se passer).

En d'autres termes, on s'est pas reveilles a trois heures comme prevu et on a loupe le trek, la roche en fusion et le lever de soleil sur le volcan. On s'est dit que c'etait pas grave, qu'on verrait le volcan depuis Kaliurang, qu'il y a de belles vues depuis la aussi. Mais le volcan, vexe par notre reveil tardif, s'est tenu cache tout l'apres-midi derriere un rideau de nuages. Ainsi, je suis au regret de ne pouvoir vous presenter de photos de Gunung Merapi. Par necessite, la montagne de feu a ete remplace par le joli sourire d'une jolie javanaise!

22 février 2006





De haut en bas: 1. Russ, Robby et Deishy (je me souviens plus du nom des deux filles, hem) 2. Russ et Deishy aux petites heures de la nuit 3. Ravette anonyme

21 février 2006




Fullmooning en Thailande

J'ai un reve reminiscent qui colle a mes nuits en bungalow. Dans le reve, la receptionniste m'a prevenu de ne pas dormir n'importe ou dans le bungalow. Je dois choisir soigneusement l'endroit ou je m'etends pour la nuit, car si je n'y prends pas garde, le bungalow m'emportera. D'apres la receptionniste, il me retournera, lui-meme se transformera, je serai transbahute dans un autre bungalow et pour finir je me retrouverai sur une plage de l'autre cote de l'ile. A chaque fois, je ne prete aucune attention aux avertissements de la vieille folle et je m'endors beatement ou bon me semble. Mais au milieu de la nuit, je me reveille (a moitie, l'autre moite de moi-meme reste dans le songe) et, scrutant l'obscurite, je remarque que le bungalow a change. La fenetre n'est plus au meme endroit, la chambre n'a plus la meme taille. Ce qui etait a droite est a gauche et ce qui etait en-dessus est au-dessous. La plage qui avait pris coutume de border la fenetre derriere ma tete, a decide de se mettre de l'autre cote... parfois, le bungalow se trouve au beau milieu d'une foret sombre. Ca me fait pas peur. Generalement, je me rendors amuse en esperant que le bungalow continuera son chemin jusqu'a une jolie plage. Ou alors, je me reveille et on me rend mon sens de l'orientation.

A Ko Pha Ngan, pendant le fullmooning, j'ai fait ce reve plusieurs fois, mais je me suis reveille a chaque fois. D'abord, pour la raison evidente que je ne dormais que pendant le jour et que ce reve marche moins bien en pleine lumiere. Et puis, chaque fois que le bungalow bougeait, je me reveillais a cause du Red Bull. En Thailande, le Red Bull est au moins 3 fois plus fort qu'en Europe (j'ai aussi entendu dix fois, mais comment obtenir des informations fiables sur un pareil sujet). De plus, a la Full Moon Party a Ko Pha Ngan, on offre pas la Vodka Red Bull en doses homeopathiques.

La Full Moon Party, celebre chez tous les backpackers qui trottent en Asie du Sud-Est, a lieu le lendemain de chaque pleine lune. Les organisateurs ont plus ou moins ete interdits de faire leur fete le soir de la vraie pleine lune, parce que cette date est deja occupee par un festival bouddhiste local. C'est maintenant la Almost Full Moon Party, en quelque sorte.

Le festival de la pleine lune ne correspond pas vraiment a l'image que je m'en etais fait. Je m'imaginais un endroit caracterise par les mots roots, grosses dreadlocks, chips qui tournent dans tous les sens, feux sur la plage, etc. Cette vision quelque peu romantique, qui correspondait peut-etre aux festivals du passe, a ete rattrapee par la realite du tourisme commercial. Ko Pha Ngan, c'est une machine a saouler le jeune touriste. Les cocktails sont vendus en seaux, de ces petits seaux en plastique pour faire des chateaux de sable, avec six pailles dedans, pour pomper plus vite. Un seau contient trois decilitres de Smirnoff ou de Jack Daniels. Il ne faut donc pas plus de 2 a 3 seaux pour tenir le raver eveille et bourre jusqu'au petit matin. Les ecstas deviennent superflus. Resultat: on dort pas, a Ko Pha Ngan, ou peu, parce qu'on a trop de machin chimique dans le sang, et pour d'autres raisons. Et comme on ne dort pas, on se retrouve plutot mal foutu apres la pleine lune.

Ko Pha Ngan a une putain de reputation pour detruire les voyageurs, egalement par d'autres facons que l'insomnie au Red Bull. Le texte "warning" dans le Lonely Planet est enorme pour une petite ile comme celle-la. Il parait qu'il y a un mort par semaine par accident de moto sur l'ile (chiffre non confirme). Comme on est jeune et cool et souvent bourre/pete/euphorique/hallucine, on met pas de casque quand on se trimballe en bicycle a travers les jolies collines de l'ile. Si on ne subit pas de fracture du crane, alors on se fait au moins une fracture du tibia ou une belle entorse. Chez les 20-25 ans, le pourcentage de types qui avancent avec des bequilles est le plus eleve au monde (ca je l'ai calcule moi-meme). En plus, on les remarque bien, car les hopitaux thailandais leur donnent de belles bequilles en bois, comme au moyen age, qu'on porte sous les aisselles.

Mais ceux qui ne boitent pas a cause d'un accident de teuf le font parce qu'ils ont marche sur un bout de verre ou un caillou particulierement mechant. On aime bien marcher pieds nus, a Ko Pha Ngan.

Les noyes font aussi beaucoup parler d'eux a Ko Pha Ngan. L'eau qui froufroute devant les hauts-parleurs attire comme un aimant le raveur hilare, et l'engloutit parfois dans ses flots. On raconte l'histoire de trois jeunes allemands qui, shroomes ou pilses, ont eu l'idee de traverser a la nage de Ko Pha Ngan a Ko Samui, a 20 kilometres de la. Poseidon les a manges.

Hormis les insomniaques, les commotionnes, les boiteux et les noyes, il y a aussi les fous. C'est ceux qui restent la-haut, sur la lune, meme quand elle n'est plus pleine. Dans le LP, un long texte met en garde contre les drogues qui gardent prisonnieres les ames de leurs clients. La coupable semble etre une proche parente de la datura... l'herbe du petit diable. Celui qui la connait, celui qui a lu Castaneda sait la respecter. La datura aime garder ses hotes dans son logis bien chaud pendant longtemps. Et tout le monde n'a pas la chance d'avoir un Don Juan pour le tirer des griffes du monstre. Enfin bref... Il semble que l'hopital psychiatrique locale est plein de touristes curieux de s'amuser avec des substances rigolotes et qui ont pete les plombs.

Malheureusement, comme mentionne auparavant, je crois qu'il est trop tard pour voir la plage de Ko Pha Ngan remplie de neo-hippies et de raveurs outrepetes. Ce ne sera plus jamais comme avant. Par contre, le fetard sera heureux de trouver une grande plage de sable fin, couverte de 10000 jeunes et beaux occidentaux suant, sautillant et draguant, un seau de rum-sprite-red bull a la main. Des types qui se jettent a l'eau. Des batons de feu qui tournoient dans les airs a une vitesse phenomenale. Des ladyboys meconnaissables, operes sous toutes les coutures, attirant dans leur sein de naifs touristes a la quequette en feu. Les filles les plus jolies du monde, reunies la de facon totalement irrationnelle: israeliennes a la peau brune et aux yeux profonds, suedoises blondes et pulpeuses, anglaises decadentes... et bien d'autres.

Je me suis bien amuse, a Ko Pha Ngan. Je partageais mon bungalow avec deux Australiens, Russ et Deishy, et un Hollandais, Robby. Russ et Deishy furent le meilleur public que j'ai jamais eu en jonglant. Enfin, surtout le soir ou ils ont essaye les frappes aux champignons. Deishy, qui se l'est jouee a la Casanova, perdit ses tongues en baisant sur une barque thailandaise et aimait occuper la douche de notre bungalow avec ses conquetes feminines, au petit matin, alors que Robby et moi on arrivait pas a fermer l'oeil a cause de ce maudit Red Bull. Robby le Hollandais. Je me rejouis de le revoir, il m'a promis de m'accueillir dans sa maison sur le canal d'Amsterdam.

Les lendemains de noce sont parfois glauques; les lendemains de Full Moon Party sont toujours glauques. Il vaut mieux decamper au plus vite. Mais moi je me suis retrouve cloue a Ko Pha Ngan par une sorte de pseudo-grippe du a un exces de cafeine, de tabac, d'alcool, de decibels et d'insomnie. Bref, l'after-full-moon fut plus que glauque, d'autant plus que tous mes potes avaient leve l'ancre. Je passai quelques jours mornes a somnoler en suant dans mon bungalow. Ma seule consolation etait de penser a la jolie black, mi-jamaicaine, mi-ecossaise, qui avait danse avec moi sur le sable chaud, le soir de la Full Moon. Je l'ai aborde en lui disant que son K-way jaune me rappelait mon enfance. Elle avait une robe blanche et un fabuleux sourire. Malheureusement, ce soir-la, j'interrompis notre conversation pour aller faire pipi sur un rocher (j'adore faire pipi dans l'eau) et je me perdis sur le chemin du retour et quand je revins, la belle avait disparu. Je ne l'ai plus revue.

18 février 2006


Babyface


" Vous qui maniez votre souris d'une main blanche, vous qui vous enfoncez dans votre moelleuse chaise de bureau en vous disant: Peut-etre ceci va-t-il m'amuser. Apres avoir lu le blog, vous dinerez avec appetit en mettant votre insensibilite sur le compte du webmestre, en le taxant d'exageration, en l'accusant de poesie. Ah! Sachez-le: ce drame n'est ni une fiction, ni un roman. All is true. "

Honore de Zalbac, Le Pere Goriot (avec quelques menues adaptations)


Bain de sang a Tana Toraja

Une legende locale veut que Tana Toraja connut son origine un jour que Dieu, au saut du lit, s'exclama: "Bin tiens, je pourrais faire un endroit vachement beau que quand un type il irait se promener dedans son coeur il serait tout secoue d'allegresse." Il exposa son idee a Krishna qui passait par la. Celui-ci trouva l'idee a son gout: " Ce qui serait cool aussi ca serait de mettre plein de jolies plantes genre des palmiers, des bambous et des machins dans le style.. ah ouais et des rizieres aussi, ca le fait les rizieres." Le fils de Dieu voulut aussi y mettre son grain de sel. Celui-ci rentrait d'un sejour sur terre, il avait les idees un peu detraquees: " Oublie, c'est nul ton idee... Tu ferais mieux de mettre des mecs avides de sang dans ta nouvelle region, qu'il y ait un peu d'action! Des types qui passeraient leur temps a egorger des cochons et des buffles et a faire des combats de coqs!"

C'est ainsi que Tana Toraja vit le jour, issu du brainstorming entre les trois Dieux.

Ils ont bien reussi leur coup. La beaute de Tana Toraja est frappante. Situee a l'interieur des terres, Tana Toraja est difficilement accessible, situee au coeur d'une region montagneuse. Les pentes douces des vallees sont couvertes de rizieres etagees et rythmees de gros blocs erratiques sombres. Le moindre centimetre de terrain est occupe par la verdure. Les forets, vergers et plantations se confondent, tellement nombreuses sont les plantes utiles a l'homme.

Poussent ainsi dans les montagnes de Tana Toraja, le manioc, la patate douce, l'ananas, la mangue, la vanille, le clou de girofle, l'arbre a cannelle, le poivre et le piment. Ces epices, en particulier le clou de girofle, le poivre et la cannelle, attirerent les avides navigateurs portugais, puis anglais et hollandais, qui exploiterent les ressources des Celebes et des Moluques a partir du 16 siecle. Le piment fait ici exception: bien qu'element essential de la cuisine asiatique, il est originaire d'Amerique du Sud et non des Indes orientales. Le cafetier, qui vient d'Ethiopie, et le cacaotier, natif d'Amazonie, ont egalement trouve a Sulawesi une seconde patrie. Ils poussent de facon quasi-sauvage dans les montagnes de Tana Toraja.

Autre plante qui prete sa beaute aux forets Torajas, le bambou pousse en enormes buissons aux abords des villages. Il sert a couvrir les toits des maisons traditionnelles et a monter les echafaudages. Puis, il y a les bananiers et les cocotiers. Comme chacun sait, le bananier est un producteur d'armes a feu. Tristement celebres, les bananes Torajas peuvent tuer un homme a plusieurs dizaines de metres de distance. Le cocotier, par contraste, est la plante la plus cherie par l'homme dans ces contrees. Le jus de son fruit abreuve l'homme, sa chair le nourrit. Son bois sert de combustible et a la construction des maisons. L'huile de palme eclaire les demeures et ses feuilles servent a couvrir les toits, a tisser des paillasses et des paniers. Mais, note quelque peu negative, j'ai aussi entendu dire que la chute de noix de cocos etait responsable de plus de morts d'hommes que les requins. Si c'est vrai, ca en fout un coup a la reputation des requins!

Le Tana Toraja est habite par les Torajas, peuplade bien distincte des autres ethnies de Sulawesi. A travers les siecles, les Torajas on su conserver les traits de leur culture bien particuliere. Celle-ci se manifeste en particulier par leurs celebres maisons sur pilotis aux enormes toits de chaumes (c'est en fait du bambou) qui s'avancent devant la facade, pointant vers le ciel. Elles sont censees avoir la forme des bateaux que les Torajas ont utilises pour arriver de leurs terres d'origine, il y a des milliers d'annees. Ainsi, le devant de la maison est toujours dirige vers le nord, d'ou les ancetres sont venus (toute l'Indonesie, a l'exception de la Papouasie, a ete colonisee, il y a plusieurs milliers d'annees, par des peuplades venant de Chine meridionale). Les facades des maisons sont tres colorees, peintes de minuscules motifs, et agrementees des cornes des buffles sacrifies aux ceremonies. Il y a souvent des dizaines des paires cornes de buffles entassees les unes sur les autres devant la maison. Ces chefs-d'oeuvre d'architecture sont eparpilles dans les petits villages a travers la campagne.

Un second trait marquant de la vie des Torajas qui date de temps ancestraux est forme par leurs croyances sur la vie apres la mort. Bien qu'officiellement chretiens, les Torajas pratiquent une serie de rites paiens qui feraient bondir le pape, s'il en etait capable. Ces moeurs sont si profondement ancree dans la culture toraja qu'elles influencent grandement la vie de la population et me l'economie de la region.

Voici un petit resume de ces charmantes croyances (qui, si je puis me permettre, ne sont a mon avis ni moins ridicules, ni moins raisonnables que n'importe quelle croyance hindoue, chretienne ou papoue sur la vie apres la mort). Voila: tous les ancetres des Torajas, donc tous les morts, influencent la vie des vivants. Une personne decedee, une fois arrivee dans l'au-dela, peut se metamorphoser soit en demi-Dieu, soit en demon. Or, la famille du defunt a grand interet a ce que ce dernier se transforme en demi-Dieu, sinon une pluie de mesaventures lui tombera sur la gueule, que j'enumererai pas ici. L'ancetre demi-Dieu est une benediction, il sera au petit soin avec ses petits-enfants et petits-petits-petis-enfants jusqu'a la nuit des temps. Le demon, c'est tout le contraire: il mettra un malin plaisir a mettre des batons dans les roues des charrues de ses petits-enfants et d'avides sangsues dans les rizieres ou travaillent ses petits-petits-petits-enfants. Par bonheur, le destin du defunt n'est pas laisse aux mains du hasard (ni dans celles de Jesus-Christ, d'ailleurs). Pour s'assurer qu'il se transforme en demi-Dieu, les survivants disposent d'une procedure couteuse, mais qui a le merite d'etre simple: il s'agit de buter le plus grand nombre possible de cochons et de buffles. Ceci n'est ni un vain mot, ni une simple formalite. Apres le deces, les enfants et les petits-enfants se mettent immediatement a economiser de l'argent afin d'acheter les cochons et les bovins necessaires a la divinisation. En attendant d'avoir accumuler les tunes necessaires, le defunt est soigneusement embaume et garde au frais pour la ceremonie. La famille met generalement plusieurs annees pour mettre assez d'argent de cote et inviter tous les amis et parents de la famille.

Pour ce qui est des cochons et des buffles, les riches comme les pauvres sont a la meme enseigne. Un richeton ne peut pas se permettre de sacrifier le meme nombre de cochons qu'un pauvre here. Non, un sens rigoureux de la justice veut que les positions sociales des familles soient toujours rigoureusement respectees. Les sacrifices prennent ainsi des proportions gigantesques. La ceremonie a laquelle j'ai assiste, celle d'une famille aux moyens modestes, n'impliquait qu'une dizaine de buffles et une centaine de cochons (une regle implicite veut qu'on sacrifie approximativement dix cochons pour un buffle). Mais les familles les plus riches sacrifient jusqu'a150 buffles et 1500 cochons!!

Vous comprenez maintenant, tous autant que vous etes, pourquoi cette tradition funeraire va jusqu'a influencer l'economie de la region... Les morts sont les eminences grises qui tirent les ficelles du business local. Le marche de buffles de Rantepao est le Wall Street du Tana Toraja, le marche aux cochons, c'est la bourse de Tokyo. Et dans le commerce fructueux pour corrompre l'au-dela, la beaute des animaux sacrifies compte pour beaucoup. Un buffle noir de bonne taille vaut de dix a vingt millions de roupies. Mais les buffles blancs et noirs, ou completement blancs, plus rares, peuvent valoir jusqu'a 100 millions de roupies, a l'exemple de Babyface (photo). 100 millions de roupies representent environ 15'000 francs suisses, ce qui est enorme dans cette region somme toute assez pauvre... Un petit veau blanc peut faire la fortune d'un paysan! Les buffles font d'ailleurs l'objet d'un veritable culte. Leurs bustes et cornes ornent la plupart des maisons. Les porcs, il faut bien l'avouer, generent un enthousiasme d'une moins grande envergure. Bien qu'ils fassent egalement partie integrante des ceremonies funeraires, on ne rencontre que rarement des effigies a la gloire des cochons.

Je n'ai pas eu l'honneur d'assister a la mise a mort d'un buffle. J'ai par contre vu celle des cochons, et je ne suis pas sur que ce fut un honneur.... La ceremonie avait lieu dans une grande clairiere. Les nombreux convives festoyaient dans de grandes huttes dressees pour l'occasion. Au centre des huttes gisaient les infortunes porcides, condamnes a assouvir la soif de sang des humains. Ils poussaient regulierement des couinements plaintifs, ficeles qu'ils etaient a de gros bois de bambous. Lorsque leur heure fut venue, ce sont les gamins des invites qui se chargerent de les transporter au lieu de la boucherie. C'est la que le pathetique commenca. Une ribambelle de bambins s'accrocha aux gros bambous pour transporter le cochon, qui se mit a hurler a la mort. Les gamins etaient au moins une dizaine, mais le cochon etait malgre tout trop gros pour eux, et ils le laissaient regulierement tomber, ce qui faisaient pouffer les gosses et redoubler les hurlements de la bete. Les adultes qui assistaient a la scene se gardaient bien de les aider. Ils souriaient, attendris. Ils s'etaient manifestement tous amuses de la meme maniere etant petits.

Les gamins mettaient dix minutes pour transporter chaque cochon au lieu de sa fin. Une fois celui-ci depose au pied de son bourreau, il se calmait, se croyant sauve car hors de portee de ses petits bourreaux criards. Alors, sans prevenir, le boucher enfoncait un long poignard dans son coeur. Le cochon se mettait a hurler, secoue de spasmes tandis que le sang s'echappait par intervalles de la blessure dans sa poitrine. Il mettait quelques dizaines de secondes avant de rendre l'ame. On sortait alors les boyaux de son ventre et on le jetait tout entier sur le feu.

Comble du pathetique qui me fut donne de voir ce jour-la, quelques mouflets se sont empare de la vessie d'un des cochons et l'ont gonfle d'air pour en faire un ballon de foot (voire photo).

Un autre personnage occupe une place particuliere dans les traditions torajas: le coq, fier animal qui adore faire voler ses plumes en de farouches combats. Les combats de coqs ont lieu regulierement apres les ceremonies funebres. C'est un veritable sport national. Les Torajas cherissent leurs coqs comme des poupons. On voit les hommes caresser avec affection les plumes de leurs poulains avant de les lancer dans l'arene. Pour le combat, ceux-ci sont equipes d'une lame extremement coupante, fixee derriere leurs pattes. Les combats sont tres sanglants et ne durent generalement pas plus d'une minute, jusqu'a l'un des coqs touche le sol de son bec. L'assistance parie a coup de milliers de roupies et se laisse captiver par le spectacle.

Le guide qui m'accompagna au combat paria sur les deux premiers combats. Scene plutot comique, au deuxieme affrontement, l'un des deux coqs pris peur et s'enfuit a toutes jambes. Il s'agissait certainement d'un froussard notoire. Alternativement, on pourrait pretendre que c'etait un coq assez intelligent pour ne pas obeir a ses instincts et tenter d'echapper a une mort certaine. Une sorte d'objecteur de conscience poulet, si on veut. Malheureusement pour lui, ce pacifiste poulet subit le sort de n'importe quel deserteur prit en flagrant delit de fuite: sa gorge fut tranchee sur le champ, tandis qu'on glorifiait son adversaire.

Apres la fuite du coq-poule mouillee, mon guide et moi nous remimes en route, et celui-ci fit une curieuse remarque: " Je me suis trompe dans mes calculs." Comme j'exprimais mon etonnement, il continua de la sorte: " Tu te souviens, avant que nous entrions sur le site du combat, j'ai fait un sejour aux toilettes. Tu as certainement cru que j'allais satisfaire mes besoins. Il n'en etait rien. Je suis alle me preparer pour les combats."

Mon guide me confia qu'avant d'aller aux toilettes, il avait detache quelques graines de cafe d'un arbre a proximite, et les avait utilises pour une ceremonie destinee a prevoir l'issue des combats. Ma curiosite chatouillee, j'insistai pour qu'il me fasse une demonstration exhaustive de son truc.

Il ramassa neufs petits cailloux qu'il disposa sur le sol en un carre de troix cailloux a chaque cote. Le neuvieme caillou occupait le centre du carre. Il m'expliqua que le premier caillou, dans un coin du carre, etait un coq blanc, le deuxieme un coq rouge, le troisieme un noir, puis un coq rouge et jaune, et ainsi de suite. Il ramassa alors cinq ou six cailloux supplementaires, sur quoi il partit dans une longue explication confuse, pendant laquelle il ramassait, deposait et redisposait des cailloux a l'interieur du carre. Je perdis vite le fil de ses elucubrations: " Alors si le premier combat oppose un coq rouge et un autre blanc tu commences ici, et tu suis le carre dans ce sens-la si c'est le 1er, le 3e ou le 5eme combat, par contre si c'est pair tu vas dans l'autre sens, et comme le caillou suivant represent un coq noir, tu prends le caillou et tu continues jusqu'au coq multicolore, ce caillou-ci, et tu en deposes un autre ici et en attrapes un ici, blablablablabli, et tu vas jusqu'au centre, sauf si c'est le troisieme combat, patati patata, depose deux cailloux ici, reprends-en quatre, mets-en deux dans le coin du coq jaune et rouge", etc, jusqu'a ce qu'il ait tout chamboule les cailloux et que moi j'y comprenne plus rien du tout.

Resultat: dans le cas de figure, le coq rouge gagnait. Il semblait vraiment sur de son coup, ce type. C'est fou. Comment peut-on etre assez naif pour croire que l'issue de combats de coqs puissent etre determinee par le mouvement de grains de cafe sur le sol. C'est un peu comme de croire que le mouvement des astres puissent determiner le destin des etres humains.

Evidemment, il fallait bien qu'il reconnaisse que ses petites manigances ne l'avaient pas aide dans le cas du coq qui avait pris la poudre d'escampette. Mais non, il n'etait pas deconcerte: une simple "erreur dans ses calculs", rien de plus. Ca devait etre un deterministe, ce type, comme le Marquis de Laplace: un type qui croit qu'on peut prevoir tout evenement qui a lieu dans le futur si on connait l'exact etat de l'univers a un moment precis. Moi, je ne voulais pas le brusquer en pretendant que son charabia n'avait aucune valeur. Neanmoins, je ne pus m'empecher de faire l'objection suivante: " Si tout le monde connait l'issue des combats grace au theoreme du carre, il n'y plus d'interet, non?"
Mon guide me regarda alors d'un oeil conspirateur: " Seulement, pas tout le monde il connait le truc!! " Hehe. Gros malin.





Sacrifice de cochons a Tana Toraja

Quand nos cousins porcins se font griller dans les Asterix, pour le bonheur des Gaulois, c'est toujours tres bon enfant. Etrangement, mon sentiment fut quelque peu mitige lorsque j'assistai aux executions en direct a Rantepao. Pourtant les enfants etaient bien la. C'etaient meme eux qui s'amusaient le plus.

De haut en bas: 1. Le marche aux cochons a Rantepao. Ca grouinait et couinait a coeur joie, la-dedans. 2. La bedaine d'un des candidats a l'orgie funeraire des Torajas. 3. La bedaine une fois ouverte. 4. Ces charmants bambins inventifs se sont confectionne une nouvelle balle de foot. 5. Les cochons accomplissent leur destin.








Combats de Coqs a TT

1. En preparation aux hostilites, on attache une longue lame effilee a la patte du combattant. Il pourra ainsi trancher la gorge de son adversaire. Evidemment, lui-meme ignore qu'il risque plus que le vol de quelques plumes.
2. Avant le combat
3. Les fauves sont laches
4. Le face a face
5. La melee
6, 7, & 8. Le public



Mas Tana Toraja. 1. Sur le visage d'une poupine Torajienne, on lit la joie, l'allegresse et l'hilarite de vivre sur une planete toute verte et bleue. 2. Le president et le vice-president indonesiens. 3. Le fruit du cacaotier (eh oui ca ressemble a ca le chocolat avant que ca se transforme en lapin, vous savez, c'est comme les chrysalides de papillons avant la metamorphose)



Paisajes de Tana Toraja. Tio. No hay un lugar mas maravilloso en todo el mundo.

Foret de bambou a Tana Toraja

Laissez-moi, chers lecteurs, vous conter une parabole, qui illustrera a perfection le cliche ci-dessus. Alors que je me trouvais avec mon guide dans une foret de bambou, je surpris cette conversation entre deux touristes francais qui se trouvaient a proximite. Je ne pus m'empecher de tendre l'oreille, car leurs propos representaient bien l'etat d'emerveillement dans lequel je me trouvais.

- Ah, il n'y a vraiment rien de plus beau au monde qu'une foret de bambou.
- Si.
- Ah oui? Et qu'est-ce que c'est?
- Les seins de Pilar Vaya.
- Ah oui, bon, d'accord... Mais a part les seins de Pilar Vaya, il n'y a rien de plus beau au monde qu'une foret de bambou!
- Oui, la, la, je suis d'accord.






Ce n'est pas une tradition obsolete et folklorique. Toutes les maisons des villages Torajas sont construites de la sorte.

De haut en bas: 1. La maison Toraja, telle que par elle-meme. 2. J'ai vu le couvreur, il m'a parle de toi. 3. Corne de buffle sacrifie devant une habitation. 4. Accroche-toi au pinceau, j'enleve l'echelle. 5. Detail d'une facade.


Tentena, les pieges a anguilles.

Apres mes escapades sous-marines des Iles Togians, je mis le cap au sud. Une petite embarcation me mena d'abord de Kadidiri a Wakai, le plus grand village des Togians. De la, les vents me menerent jusqu'a Ampana, sur la cote meridionale de la baie de Tomini. Le but ultime etait Rantepao, dans la belle Tana Toraja, non loin de Makassar, au sud de Sulawesi. D'Ampana, il me fallut quelques etapes pour l'atteindre.

D'abord, Poso, au centre de Sulawesi. Poso se trouve dans une des nombreuses regions troublees par des conflits religieux en Indonesie. Le jour meme de mon arrivee a Sulawesi, une bombe a explose dans un marche a Palu, pres de Poso. Elle a ete posee devant un stand qui vendait de la viande de porc. Ainsi, les terroristes etaient certains de ne tuer que des amateurs de cochons, donc des chretiens. A Poso meme, une semaine avant que j'y arrive, il y eut de graves altercations entre les forces de police et l'armee. Ils se sont tires dessus! Voila une idee qui aurait bien plu a Coluche, je crois. Des cons qui se tirent dessus, pas tres grave, au fonds.

Pour moi, la nuit passee a Poso fut tres calme. Ma prochaine etape fut Tentena, au bord d'un tres joli lac, ville fameuse pour ses enorme anguilles qui peuvent atteindre des proportions affolantes. Les monstres de Tentena, qu'on les appellent. Les barrages en bois qu'on voit sur les photo servent a les pieger. De Tentena, il me fallut encore passer une nuit a Pendolo et m'arreter a Hanitemo avant d'arriver a Rantepao. Trois jours de voyage pour une si courte distance... Les bus font rarement plus de 50 km a l'heure, dans la region. Mais les chandelles, comme partout a Sulawesi, en valent le paysage.

08 février 2006




Les petits hommes et les petites femmes des iles, a Malenge.




Les Iles Togians. Sur la plage a Malenge. Un demon local. Un type qui joue aux dominos sur le bateau (chaque fois qu'il perdait une partie, il devait rajouter une pincette sur sa figure).



Malenge, les maisons sur pilotis. A Wakai. Le flotteur d'une barque togiannaise.

Odyssee aux Togeans

Premiere partie: Aller aux Togeans

L'un des problemes majeurs que rencontre le traveloque dans un pays lointain et inconnu est l'obtention d'informations fiables. Ce probleme est certes plus grand dans les pays ou la barriere de la langue se dresse, tel un mur de marbre intransigeant, devant le voyageur. En Inde, on peut se debrouiller en anglais (le probleme la-bas est plutot qu'on a affaire a de fieffes menteurs). A Bali, a Java, a Lombok, dans la belle et exotique Indonesie, les infrastructures touristiques sont tres developpees, et les gens parlent souvent tres bien anglais. Par contre, lorsque je me suis retrouve a Sulawesi, le cas de figure fut bouleverse. Pas un type qui parlait un mot d'anglais. L'avantage est que je fus force a appliquer les bases d'indonesien que j'avais appris et ca m'a fait progresse. Mais le manque de communication claire fut un obstacle dans mes peregrinations a travers le pays. Certes, le deficit en anglophones est compense, a Sulawesi, par le fait que les gens y sont extremement affables, toujours disposes a vous aider. Seulement, j'ai remarque que la politesse des autochtones peut vous jouer des tours... Une personne ignorant la reponse a votre question vous repondra souvent un truc au hasard par peur de vous deplaire. C'est comprehensible, mais perfide et agacant. Heureusement, le traveller aguerri dispose de subtiles techniques pour defier cette contradiction, qui sont les suivantes: a) La question posee a l'autochtone doit l'etre de facon a ce qu'elle ne puisse etre repondue par "oui" ou "non". b) Le voyageur doit s'adresser a un minimum de trois personnes pour avoir la certitude que l'information obtenue est fiable. c) Il vaut mieux verifier par soi-meme.

En general, ces problemes de globe-trotter sont resolus par la presence a ses cotes d'un allie de taille, fidele et fiable: J'ai nomme, the Lonely Planet Guidebook. LP detient, me semble-t-il, un quasi-monopole sur le marche du guide de voyage. En Inde, au moins 90% des touristes voyagent avec Lonely Planet (LP India a ete traduit en japonais et en hebreux). Cette popularite est meritee: Leurs guides sont fiables et bien structures. Le voyageur du 21e siecle a toujours un LP dans sa poche. Et le routard rime avec ringard...

Mais a Sulawesi, mon ami fidele m'a lache, le traitre. Les prix des hotels etaient trois fois plus eleves que dans le guide. Les bus avaient rarement la regularite annoncee dans le bouquin. Et surtout, mon cher guidebook contenait des infos depassees sur les departs des bateaux spour les Iles Togeans! Les trois regles du traveller prudent, que j'essayai d'appliquer avec rigueur, ne purent me sauver de quelques menues contrarietes...

Le 9 janvier 2006, je quittai l'ile de Bunaken pour Manado. Le but ultime etait les Iles Togeans. Pour ceux qui ont un atlas sous les yeux: Suivez la ligne de l'equateur d'ouest en est, en partant de Borneo, et observez comme cette ligne imaginaire coupe la grande baie qui separe le long bras septentrional des Celebes de sa partie meridionale. Cette baie est la baie de Tomini; y baignent, les Iles Togeans, placees un chouia au-dessous de l'equateur.

Mon trajet paraissait simple, comme cela, a vue d'oeil. De l'ile de Bunaken, je devais rejoindre Manado en bateau, ou je prendrais un bus pour Gorontalo, sur la cote nord de la baie de Tomini. Depuis Gorontalo, le ferry me menerait aux Iles Togians, apres environ 14 heures de trajet. D'apres un couple de touristes que j'avais rencontre quelques jours auparavant, le ferry partait une fois par semaine, tous les mardis (le LP pretendait qu'il partait le jeudi et le lundi). Mais j'ignorais a quelle heure de la journee il partait. Le 9 janvier etait un lundi; il fallait donc que j'arrive le lendemain matin au Gorontalo, pour etre sur d'attraper mon bateau. The stage was set!

Les avatars commencerent lors de la traversee de l'ile de Bunaken a Manado, sous la forme de la panne de moteur contee dans le blog du 9 janvier. A cause de la panne, je manquai le bus pour Gorontalo, qui partait seulement le matin. Je ne pouvais me resoudre a partir le lendemain, car je risquais de manquer mon bateau. C'etait comme dans les Lucky Luke, un train par semaine, et si je manquais mon bateau je devrais attendre une semaine entiere. Un type me dit qu'il y avait un minibus qui partait a 18 h pour Gorontalo. Un autre type m'assura de la veracite des dires du premier, puis un autre. Il etait 13h. Je les crus et me mis a attendre, malgre le degout que m'inspirait le vilain arret de bus de Manado. Ca sentait pas bon, dans ce terminal de bus, il pleuvait et j'etais pas content.

Comme je n'avais rien d'autre a foutre, je me suis dit que j'allais mettre a profit mon temps libre pour me faire raser. J'avais repere un petit salon de coiffure sympa et y entrai plein de confiance, me disant que c'etait surement comme en Inde, qu'ils rasaient bien les barbus. Grave erreur. Ce barbier incapable frotta vaguement un peu de savon sur ma joue et me rasa d'une main molle et hesitante. Il irrita ma peau de bebe et oublia beaucoup de poils dans les recoins de mon menton. Et puis... Je n'avais rien contre le fait que ce barbier-la etait un homosexuel aux manieres exagerement effeminees. Mais ce qui m'agaca, c'est qu'il insista lourdement pour me raser le pubis. Il a du me poser la question cinq fois. "Shave down there also?" Decidement, il faut que je me mette a me raser moi-meme... Les barbiers indonesien ne valent pas leurs admirables collegues indiens.

A 18 h, le bus annonce ne s'etait point materialise, et les auteurs de la prediction s'etaient desintegres. D'autres types me dirent qu'il y avait un bus a 20 h. Bien qu'assailli par le doute, je decidai encore une fois d'attendre, en desespoir de cause. A 20 h, pas de bus. Le lendemain, je me levai a 5 h pour tenter malgre tout d'attraper un bus assez tot pour embarquer dans mon bateau. Quelques personnes m'avaient dit que ce bateau partait le soir, j'avais toujours l'espoir de l'attraper.

Coup de chance, ce jour-la etait un festival musulman. Des 6 heures du matin, l'arret de bus etait occupe par une foule de fideles (ou infideles, suivant de quel point de vue on se place), tout de blanc vetus, qui ecoutaient, prosternes, un haut-parleur en plastique crier des machins religieux. Ce n'est qu'a 9h que le terminal reprit son activite normale. A 10h, je partis enfin pour Gorontalo, apres une dizaine d'heures passees a remacher mon ennui et a humer les effluves infectes du terminal de bus de Manado.

Le bus passa par les petites routes sinueuses de la peninsule, par de jolies collines et vallees verdoyantes, effleurant parfois les falaises de la cote oceanique. Sulawesi est magnifique. A 19 h, j'arrivai au port de Gorontalo. Mon chauffeur de rickshaw me rassura: Oui, il y avait un bateau pour les Togeans ce soir-la! Je me suis dit que ce type-la devait s'y connaitre, comme il amenait regulierement les passagers de l'arret de bus au port. J'etais aux anges. Mais les types du port tuerent mes espoirs dans l'oeuf fraichement pondu: Pas de ferry pour les Togeans ce soir-la. J'insistai en baragouinait dans mon bien pauvre bahasa. Mais le cuistre derriere son comptoir paraissait decide a ne pas m'aider.
- Pourquoi il y a pas de bateau pour les Togeans?
- Pas de bateau.
- Pourquoi?
- Pas de bateau.
- Quand bateau?
- Pas de bateau.
- Quand bateau Togians?
- Pas de bateau.

A se taper le cul par terre, comme dirait ma maman. Enfin bref, je me laissai convaincre par ce qui paraissait etre la triste realite: Pour aller aux Iles Togeans, j'etais oblige de passer par Pagimana, de l'autre cote de la baie de Tomini, a dix heures de bateau. J'entrai docilement, la tete basse, dans la gueule du gros ferry qu'on me designa. Le monde entier semblait s'acharner a ma perte... Quelques jours plus tard, j'appris que le bateau pour les Togeans serait parti le lendemain, mercredi, de Gorontalo (donc, autant les Tcheques que le Lonely Planet s'etaient trompes). Mais je ne laisserai pas la colere envahir mon coeur.

Le reste est histoire de patience. 10h de bateau jusqu'a Pagimana. De la, 5h de minibus pour rejoindre Ampana sur une route bosselee et sinueuse (certains troncons etaient goudronnes, c'est vrai). A Ampana, une dizaine de personnes tenterent de me persuader qu'il n'y avait pas de bateau ce jour-la, que je devais attendre le lendemain avant de partir pour mes iles cheries. Je n'en crus pas un mot. Me rappelant la troisieme regle du traveller mefiant, je decidai d'en avoir le coeur net. Effectivement, au port d'Ampana, il y avait un joli bateau en bois tout pare pour faire le trajet pour les Togeans. Sauve!

Le mousse, qui etait jovial, me dit que le trajet durait environ 5 heures pour arriver a l'ile de Malenge, ma destination. Il en prit 9. Bof, j'en etait plus a ca pres. Et puis, le voyage fut plaisant. Mon indonesien s'ameliorait, decidement. Sans y avoir contribuer autrement que par la paleur de ma peau, je fus rapidement le centre d'attraction a bord. Une jeune fille me demanda en mariage, devant tous les autres passagers. Je reussis a lui faire comprendre qu'elle etait trop jeune pour moi, mais que dans 5 ans, oui d'accord.

Deuxieme partie: Etre aux Togeans

Ah, les Iles Togeans. Petits bouts de paradis eparpilles sur une mer turquoise, claire comme de l'eau de roche.

Toutes ces iles sont couvertes d'une jungle epaisse, luxuriante, qui met a profit le soleil genereux et la torrentielle saison des pluies pour s'epandre en feuilles geantes, lianes parasites et troncs gigantesques. Cet enfer vegetal est le logis de tarsiers, de macaques noirs, de couscous (sorte de gros loir arboricole), de babirusas (les babirusas sont de gros cochons avec quatre longues defenses bizarres sur le museau, qui ne vivent qu'a Sulawesi). Les iles sont egalement l'un des dernieres refuges des "crabes a coco", ainsi nommes parce qu'ils sont capables de percer une noix de coco avec leurs grosses pinces. La legende les pretend meme capable de grimper aux cocotiers pour en detacher les fruits. Grimpeurs ou pas, ce sont les plus grands arthropodes terrestres du monde, ils peuvent atteindre la taille d'une balle de foot.

La population des Togians, elle, est tournee vers la mer. Toute la vie des Togiannais est liee a la mer. Leurs maisons sont construites sur pilotis pres de la rive. Ainsi, pas de trajet a pied pour aller au turbin, le matin. Le bateau est a cote de la maison, on y saute quand on va au boulot. Des leur plus tendre enfance, les hommes des iles pechent du ponton de leur maison. Puis ils partent sur des coquilles de noix pour tirer de leur maman a tous, la mer, de quoi manger. Leurs bateaux consistent en une petite coque centrale, faite d'un seul tronc d'arbre pour les plus petits, et de deux barres transversales en bois qui equilibrent le bateau en effleurant l'eau. Parfois, ils sont equipes d'un petit toit en feuilles de palme. A chaque fois que je prenais un de ces bateaux, la beatitude m'envahissait. Je m'allumais une clope au clou de girofle, dont le filtre vous donne un petit gout sucre sur les levres, j'entamais une chansonnette (generalement Leonard Cohen), et je passais mon temps a observer la barre transversale toucher l'eau, remonter un peu sous le coup d'une vaguelette, puis redescendre a nouveau pour effleurer l'eau (voire la photo). De temps a autre, un poisson-volant fendait les airs, parcourant quelques dizaines juste au-dessus de l'eau en voletant comme une hirondelle.

La proie de choix des pecheurs de la region est le concombre de mer, qui est une delicatesse en Chine, bien qu'il soit tellement difficile a attraper avec des baguettes. Il parait que, de temps en temps, les pecheurs qui plongent chercher des concombres de mer ou des perles se font croquer par les crocodiles marins. Ceux-ci habitent les mangroves, mais s'aventurent parfois en haute mer, voyageant d'ile en ile. Ils font generalement environ cinq metres, mais peuvent atteindre jusqu'a 9 metres.

Aux Togeans, les plus riches ont un generateur qu'ils font marcher le soir. Mais en general, il n'y a pas d'electricite, pas de voitures, ni de velomoteurs, a part quelques rares specimens dans la "capitale", Wakai. Il y a pas de biere non plus, sauf, la aussi a Wakai.

Le soir, je m'asseyais sur le ponton de mon hotel, sur la mer, a observer le ciel. On se sent seul au monde, dans un endroit comme cela. On reflechit a la vie des gens qui vivent sur ces iles, et a la sienne. Leur monde est tellement different du mien. Il est plus tranquille, plus simple, plus paisible. Il est rythme par la priere, cinq fois par jour, par le coucher et le lever du soleil, et par les arrivees des bateaux. Surtout, idee qui m'a plu, ce monde me parait etre un monde chaud et doux au toucher. On est presque toujours pieds nus, aux Togians. De ses pieds nus, on touche le plancher poli de sa hutte ou la coque de son bateau, chauffes par le soleil. La mer turquoise rafraichit, mais juste un peu, tout comme la brise qui souffle du large. Rien n'est froid, rien n'est bruyant, les sens ne sont jamais brusques.

Evidemment, si on adopte un point de vue quelque peu moins romantique, on peut aussi se dire que cet endroit est ennuyeux a crever. Rares sont les citoyens des Togeans qui s'aventurent au-dela d'Ampana, port le plus proche, peuple d'une dizaine de milliers d'ames. Je me suis vaguement imagine comment je me sentirais si je devais passer ma vie dans ces iles... mes speculations oscillaient entre un bonheur absolu et un intolerable ennui. Les Togians, paradis, ou trous a rats?

Ainsi, mon sejour a Malenge, petite ile denuee de tout tourisme, m'a permis de decouvrir la vie de sa population et son joli village sur pilotis. Mais j'avais choisi d'aller a Malenge parce que j'avais lu que la faune de sa jungle etait nombreuse. Je suis parti deux fois en exploration avec un jeune autochtone. En l'absence de sentiers, la marche dans la jungle etait extremement ardue. On a traverse des mares, on a glisse sur des pentes boueuses et on a lutte contre des plantes epineuses et grimpantes. Peine perdue, impossible de voir quoi que ce soit. La foret etait tellement dense qu'on ne pouvait rien voir a plus de 5 metres devant soi. Les macaques etaient bien caches dans la jungle touffue. La partie la plus etonnante de mon petit safari dans la jungle eut lieu a la rentree au bercail. J'avais loue un petit bungalow sur une plage entouree de jungle, totalement isolee, sur la cote opposee de celle ou se trouvait le village. La plage etait peuplee de centaines de Bernard-L'Hermites qui trainaient leur coquilles sur le sable blanc, a la recherche de quelque cadavre a becqueter. On avait donc fait le trajet en bateau depuis le village, avec deux types qui bossaient pour l'hotel, qui cuisinerent pour moi aux bungalows. L'un d'eux etait mon guide et vint avec moi dans la jungle pour le safari. Mais quand on est rentres, le deuxieme type n'y etait plus. On l'a cherche partout, mais il avait vraiment disparu. Moi, je me suis pas fait de souci, je me suis dit qu'un pote qui passait en bateau devant la plage l'avait chope au passage. Il etait impossible qu'il ait traverse l'ile a pied, le centre etait montagneux et couvert d'une jungle impenetrable, comme je venais de le constater.

Bin si, pourtant, c'etait bien ce qu'il avait fait, ce fou. C'est le lendemain qu'on l'apprit, en rentrant au village. Le type avait fui la plage parce qu'il avait pris peur.
- Peur de quoi?, que je demandai a mon guide, qui etait le seul homme qui baragouinait trois mots d'anglais sur l'ile.
- Peur des demons!
- ...?
Suivit une explication laborieuse comme quoi, ils etaient musulmans et, pour cette raison, ils croyaient aux demons et avaient peur d'etre seuls sur la plage. Lui aussi avait eu peur, la veille au soir, ce qui avait trouble son sommeil. Incroyable. Moi qui les prenait pour des durs, habitues a la vie dans la nature. Des froussards! Et je doute que leur pretendus demons aient quoi que ce soit a voir avec le Coran. Les indoneseiens aiment bien melanger leurs croyances animistes avec leur religion "officielle", que ce soit le christianisme, l'islam ou l'hindouisme. Les demons etaient bien Togiannais, pas arabes.

Troisieme partie: Sous l'eau aux Togians

Apres Malenge, je partis pour Kadidiri, ile minuscule nichee au milieu de barrieres de corail pullulant de vie. Certainement l'un des meilleurs sites de plongee en Indonesie, et je decidai d'en profiter pour "faire mon advanced", comme on dit. Le cours "PADI Advanced Open Water Diver" consiste en cinq plongees specialisees. La plongee en profondeur a 30 metres et la plongee d'orientation sont les deux premieres et sont obligatoires. Pour les trois autres, le plongeur a le choix entre plusieurs specialites. Moi, je fis la plongee de nuit, la plongee "naturaliste" et la plongee sur epave.

Plongee de nuit

Je commencai par la plongee de nuit. Du point de vue de mon voyage, je considere le monde sous-marin nocturne comme le troisieme "autre monde" que j'ai decouvert (le premier, evidemment, etant l'Inde et le deuxieme le monde sous-marin diurne).

C'est impressionant, la plongee de nuit. On a d'abord l'impression de s'enfoncer dans une soupe epaisse, dans laquelle la lumiere et le son n'existent pas. On ne voit jamais rien d'autre que ce qui est eclaire par la lampe de poche. Vous me direz, c'est comme dans une foret la nuit. Mais je dirais que le sentiment d'obscurite totale est encore accentue par le fait qu'on a pas de contact avec le sol... Comme on erre a travers la flotte, on a pas de point de repere, on ne voit souvent pas le fonds de l'eau. On est facilement desoriente. Alors, on s'approche des rochers, et on cherche, dans leurs creux, tous les etranges animaux marins qui ne sortent que la nuit. La premiere rencontre que je fis fut une "Moorish Idol" que j'avais derange dans son sommeil. Les Idoles Maures (j'ignore leur nom en francais...) sont de jolis poissons a la forme poetique, allongee et triangulairee, de couleurs noir et jaune. De mauvaise humeur a cause du reveil brutal, celui-la me prit en chasse. Je crois qu'il a essaye de me mordre la palme. Apres cela, j'observai des crabes multicolores, des crevettes minuscules et translucides, des murenes boudeuses. Le clou du spectacle fut un stonefish (poisson-pierre??) enorme dont la tete depassait d'un trou. Les stonefish sont des poissons a la peau rugeuse, sombre, qui font la gueule en se terrant au fond de l'eau, utilisant leurs corps pour passer inapercus. Ils ont des epines venimeuses sur le dos qui sont la cause de graves blessures, parfois de deces.

Avant la fin de la plongee, on s'est agenouille sur le sable et on a eteint nos lampes. Le spectacle lunaire s'est evanoui. On a agite nos bras dans l'eau pour agiter le plancton phosphorescent. Ca a fait plein de petites etincelles tout autour de nous. C'etait feerique.

Plongee en profondeur

Bin, on etait cense aller a 30 metres... finalement, on est descendus a 42 metres de profondeur. Arrive la en-bas, un courant glace nous a fouette les sangs, ouuuuuh. On a vu un gros pufferfish qui s'est gonfle en nous approchant.

On a fait le petit exercice de calcul et de reflexion pour demontrer la narcose a l'azote. La narcose a l'azote est un phenomene plus ou moins inexplique qui affecte les plongeurs a partir d'une certaine profondeur. L'azote te pete, en gros. Tu deviens quelque peu irraisonnable, tu arrives plus a reflechir, tu as tendance a prendre des risques et a devenir hilare ou paranoiaque, selon les cas. Les exemples donnes par les instructeurs comprennent celui d'un type qui donne de l'air aux poissons avec son detendeur. Pour demontrer la narcose a l'azote, l'instructeur me fit ecrire le nom de ma maman a l'envers a 40 metres sous l'eau. Quel drole de truc a faire. J'etais cense metter beaucoup moins de temps qu'a la surface, mais ca n'a pas ete tres concluant. Je crois que j'ai mis 2 secondes de plus pour ecrire esiocnarF. Heureusement, on ne m'a pas fait ecrire nresueahredeiN nov.

Cette plongee fut absolument magnifique. Je voulais plus remonter. Il y avait des petites limaces aux couleurs magnifiques. Des poissons-lions. Des poissons-papillons. Des poissons-chauve-souris. Des poissons-scorpions. Des poissons-chirurgiens.

A ce propos, j'ai remarque a quel point les gens manquent d'imagination pour nommer les choses. On rapporte toujours tout a ce qu'on a deja vu. Les types qui ont vu ces poissons pour la premiere fois, ou les usurpateurs qui ont ete charges, pour d'obscures raisons, de les baptiser, ont ete incapable de leur donner des noms corrects. Ils leur ont systematiquement donne les noms de ce qui leur ressemblait le plus sur terre, et ont mis "poisson" devant. C'est nul. Deja qu'en anglais, ils ont nommes des insectes "mouche" avec quelque chose devant (mouche a beurre = papillon, mouche-dragon = libellule). En francais, on a fait pareil avec chauve-souris. Vraiment, on aurait pu trouver des noms plus jolis. Par exemple, on aurait pu appeler le poisson-scorpion Tchipilipi. Pour le poisson-lion, je suggere Binga-bounga. Pour poisson-chauve-souris, Zipposphore. Pour poisson-chirurgien, Tisculosquine.

En rentrant de la plongee, on pourrait partager ses joies en s'exclamant: "Cher binome, as-tu apercu ce Tchipilipi qui se terrait dans le corail?" "Bien sur, et ce Zipposphore, tu te souviens?"

Plongee d'orientation

Pendant cette plongee, ma mission consistait a nous ramener au point de depart de notre excursion a travers des bancs de sables et des rochers. La promenade dura peut-etre vingt minutes. Pour m'orienter, je devais m'aider de ma boussole et des divers obstacles naturels que nous rencontrions.

Pour moi, le clou de cette plongee fut le secouage du concombre de mer par mon instructeur (voire blog du 26 janvier 2006). C'etait hilarant, et ca tombait bien, parce qu'avec l'experience, je commencais a etre capable de pouffer sous l'eau sans m'etrangler.

Un autre truc marrant, c'etait les chous petits poisson-clowns auxquels nous avons rendu visite. Ces poissons sont generalement noir ou orange avec des raies blanches (comme Little Nemo). Ils vivent en symbiose avec une dizaine d'especes d'anemones de mer. Ces anemones, qui sont des animaux et non des plantes comme on pourrait le croire, se protegent par une substance urticante. Les poissons a anemone sont couverts d'un mucus qui les protege contre ce poison. Ils vivent dans l'anemone, proteges par ses tentacules empoisonnees. En echange, le poisson defend l'anemone contre les intrus. La femelle est bien plus grosse que le male et c'est elle qui defend le territoire. Si la femelle meurt, le papa change de sexe et c'est a lui (elle) que revient le ministere de la defense. Ainsi, il y a beaucoup de transexuels chey les poissons anemones. Et l'histoire de Little Nemo est fausse, du point de vue zoologique. Souvenez-vous, Nemo vit seul avec son papa dans l'anemone. Ce qu'il se serait passe en verite, c'est que son pere serait devenu sa mere, et lui serait devenu le partenaire de sa mere/pere. Si, si.

Ce que j'ai constate lors de cette plongee, c'est que le poisson clown se distingue egalement par son courage sans egal. L'une des anemones auxquelles nous avons rendu visite abritait de petits poissons noirs et blancs. La femelle faisait peut-etre 8 cm. Pourtant, elle se revela un chevalier sans peur. Elle se dirigea vers moi a toute allure a plusieurs reprises pour essayer de me chasser. Puis elle se resolut a tenter l'assaut frontal. Je la vis foncer sur ma tete, en-dessus de mon masque. Elle me mordit le front hargneusement. Ca ne m'a pas fait mal, mais je ne pouvais croire que ce petit bout pouvait etre si valeureux. Je devais faire mille fois son poids!

A cote de l'anemone, Wolf, mon instructeur me montra un petit tas d'oeufs de poissons. Sous l'anemone, il y avait de petits crabes-porcelaine qui se cachaient. Ceux-la sont tres petits, mais tres, tres jolis. Ils paraissent vraiment etre de porcelaine.

C'etait aussi une demonstration des connaissances de Wolf sur la faune marine. Non seulement Wolf avait un diplome de biologie marine, mais il avait une experience de plongee phenomenale. A 38 ans, il a passe environ 8500 heures sous l'eau!!! Cela equivaut a une annee et demie de vie sous-marine. Ce type a plonge dans des grottes et des centaines d'epaves. Il m'a raconte comment il fut un jour coince dans une epave de bateau, dans la mer baltique, sans issue de sortie et dans une totale obscurite. Quoi de plus angoissant. Ses potes le sauverent a temps. Lorsqu'il travaillait pour l'institut oceanographique de Malte, Wolf battit le record du monde de plongee extreme, a 220 metres de profondeur. Cela a necessite 10 heures de decompression sous l'eau, a differentes profondeurs. Le record du monde est maintenant a 330 metres.

Malgre cette experience monumentale, Wolf m'a confie qu'il ne perdait pas son "respect" pour le monde sous-marin (le mot "respect" a une signification legerement differente en anglais... Le terme anglais contient moins de deference, mais plutot une sorte d'acceptance de la force et du pouvoir d'une personne ou d'un objet).

En fait, Wolf etait un type incroyable, le genre de types doues pour captiver son audience. Il me rappela Charles, legionnaire francais que Regis et moi avons rencontre dans le salar d'Uyuni en Bolivie. Un type qui a tout vecu et dont les histoires de vie sont interminables, aux levres duquel on reste pendus des heures durant. Charles nous avait raconte comment un petit chinois, a la legion etrangere a Djibouti, etait constamment l'objet de moqueries de la part des autres soldats a cause de son accent. Une nuit, le petit chinois audacieux coupa l'oreille de son plus feroce detracteur, d'un coup de rasoir, pendant son sommeil. Les officiers ne sont pas intervenus, et le petit chinois a ete tranquille depuis la. Wolf, lui, nous raconta plutot des histoires d'accidents de plongee. Par exemple, lorsqu'il travaillait comme sauveteur sur la cote de la mer Rouge, il fut intercepte par un poste israelien alors qu'il transportait des bombonnes d'oxygene pour un sauvetage en profondeur. Le soldat insista pour verifier le contenu des bombonnes... Wolf estimait qu'il lui restait environ vingt minutes pour sauver le plongeur. "If you touch the tanks, I touch you", fut l'avertissement de Wolf au soldat. "He touched the tanks, I touched him". Il ne dit pas de quel facon il "toucha" le soldat. Toujours est-il qu'il passa quatre jours dans une prison israelienne.

Une autre histoire impliquait les pecheurs a la bombe sur les Iles Togians. Bien que ce genre de peche soit bien entendu interdit, les pecheurs y avait recourt regulierement. Cela avait des consequences calamiteuses sur le corail. Il y a quelques annees, le gouvernement depecha une compagnie entiere pour pieger les pecheurs. Les soldats se tinrent caches pendant plusieurs mois sur une des iles, guettant le moment opportun pour surprendre les pecheurs. La scene se passa juste devant Kadidiri. Les soldats trainerent les soldats sur la plage. Apres leur avoir inflige quelques bons coups de crosses, bottes et poings, ils les firent ramper, les mains attachees derriere le dos, sur toute l'etendue de la plage. Apres quoi ils mirent le feu a leurs bateaux et detruisirent tout leur materiel. Le lendemain, la compagnie plia bagage. Il n'y a plus eu de peche a la bombe depuis lors.

Plongee naturaliste

Lors du petit cours theorique sur la faune sous-marine, j'appris un certain nombre de choses interessantes.

J'ai appris, par exemple, que la forme des animaux marins est largement influence par leur milieu de vie. Comme l'eau est plus dense que l'air, les poissons doivent avoir une forme aerodynamique pour se deplacer rapidement. C'est tout different sur terre: Hormis les oiseaux, les animaux ne sont pas forces d'avoir un corps aerodynamique. Par contre, la forme du corps est largement influencee par la force de gravitation et le manque de pression. Pour que le corps ne s'affaisse par sur lui-meme, il doit etre muni de parties dures. Un animal comme la meduse, par exemple, qui a une consistence tres molle, ne pourrait pas exister sur terre, car elle ne pourrait se deplacer.

Hormis ceci, j'ai appris des choses sur les relations entre vegetaux et animaux sur terre et dans la mer. Tres peu de lumiere penetre dans l'eau a une certaine profondeur; ainsi, il ya tres peu de vegetaux au fond de l'eau. La vie dans l'eau est basee sur le plancton, vegetal et animal sur le plancton, qui est la base de la chaine alimentaire. Sur la terre, au contraire, les vegetaux sont la base de toute vie, et les animaux sont extremement dependant des vegetaux de leur environnement.

Pendant cette plongee naturaliste, j'ai essaye d'apprendre a reconnaitre les coraux durs des coraux mous, et les coraux moux des eponges. C'est un exercice extremement difficile, tellement nombreuses sont les varietes de ces animaux, et tellement ils se ressemblent entre eux. Mon instructrice me montra aussi une eponge que quand tu presses il y a une sorte de liquide rouge qui en sort, comme du jus de tomate.

Ces plongees m'ont fait reflechir de facon quelque peu etrange sur la vie des poissons sous l'eau. En fait, a chaque plongee, je suis fascine par le retour a la surface. Quand on regarde la surface de la mer, depuis en-dessus, on ne voit pas a travers. Cela m'a frappe que ce soit exactement la meme chose dans les deux sens, depuis en-dessous et depuis en-dessus. En effet, considerons notre vision de l'eau depuis le dessus: Si on ne connaissait pas la consistence de l'eau, ou de ce qui se trouve au-dessous de la surface, on pourrait croire que sa surface est une surface dure, un plafond ou un sol en beton, quoi; de plus, quand on se trouve au-dessus de l'eau, on ne peut pas savoir ce qu'il y a en-dessous de la surface, sauf si un type qui y est alle nous le revele.

Eh bien, pour les poissons, c'est pareil, du dessous: pour eux, la surface de l'eau est quelque chose d'infranchissable, un plafond au-dela duquel (en supposant qu'il soit franchissable) ils ne peuvent survivre. Cela implique que pour les habitants sous-marins, il n'y pas de ciel. L'espace vital, le monde, est limite par deux murs horizontaux, l'un au-dessus, l'un au-dessous. Cette plus "grande" limitation de l'espace vital est compensee par le fait que, pour les poissons, la notion de "bas" et de "haut" n'existent pas vraiment, ou du moins, elle n'a pas une aussi grande importance que pour nous. Comme la densite de leur corps est reglee de facon a ce qu'ils aient une flottabilite neutre, les poissons restent en suspension dans l'eau sans effort (le plongeur fait la meme chose en pompant et en expulsant de l'air de son gilet gonflable). Ils se detachent ainsi des lois de la gravitation pour entrer en apesanteur. Si un poisson ne bouge pas, il ne tombera ni ne montera. Ou plutot, il ne tombera dans aucune des deux directions, le bas ou le haut. Le bas n'est pas, pour les poissons un endroit qui les attirent irresistiblement, comme pour nous, mais plutot un endroit caracterise par le fait qu'il y a des machins et des animaux poses dessus.

Evidemment, tout cela est different pour les animaux qui vivent sur le sol de la mer, comme les langoustes, et pour les poissons-volants.

Serge, corrige-moi si j'ai ecris des conneries sur la biologie!

Plongee sur epave d'un avion qui a coule pendant la deuxieme guerre mondiale

Je suppose que le lieutenant Etheridge a eu quelques sueurs froides dans son dos poilu, ce jour-la. Il a du penser a une mort imminente, a sa femme qui l'attendait, la-bas a St-Louis, et aux merveilleux gateaux au pommes qu'il ne mangerait plus, a la lingerie fine dont elle ne se denuderait plus devant ses yeux gourmands. Mais le lieutenant Eheridge tenait 11 vies entre ses mains et il fit preuve d'un grand sang-froid pour les sauver.

Ce jour-la, le 3 mai 1945, le bombardier B-24 etait parti en mission pilonner quelques bases japonaise au nord de l'Indonesie. Alors que l'avion etait encore loin de sa cible, l'un des reacteurs tomba en panne. La puissance de l'appareil ne suffisait plus a le ramener a sa base. L'avion survola les petites iles de la baie de Tomini a la recherche d'un lieu d'atterrissage force. Mais comme les iles presentent un terrain accidente et sont couvertes de forets, le lieutenant se resolut a amerrir au large d'une des iles, l'Ile Togian.

Bin oui, je suis desole de vous decevoir, mais le bombardier n'a pas ete victime d'une escarmouche aerienne avec la flotte japonaise, ou d'un tir de DCA. Il s'agissait d'une vulgaire panne de reacteur. Moi aussi, j'aurais prefere plonger sur un avion coule par les japs. Mais bon, je n'ai pas fait la fine bouche. C'est juste un peu moins rigolo a raconter.

Donc, l'avion s'est pose avec fracas sur la baie de Tomini. Mais la mer etait calme et l'amerrissage se deroula sans accroc. L'equipage entier s'en tira avec de minimes bobos et put etre evacue rapidement de l'appareil. Deux heures plus tard, lorsque l'avion de secours decolla pour ramener l'equipage a la base, l'avion flottait toujours. Il coula lentement et se posa sur le fonds de la mer dans une position quasi-horizontale, en ne subissant que peu de dommages.

5o ans plus tard, la vie marine s'est agrippe de toute part a la carcasse de l'avion. De nombreux poissons ont elu domicile dans sa cabine. Crabes et langoustes ont investi ses moindres infractuosites. D'enormes eponges ont pousse sur ses enormes ailes, qui sont toujours droites malgre la caresse incessantes des courants marins. Anemones, etoiles de mer, etoiles-plumes et coraux sont disperses sur toute sa surface. C'est un veritable paradis pour le plongeur. Michelle, qui me guidait, me montra d'abord le pneu du bombardier qui est toujours gonfle d'air apres plus de 5o ans. Ensuite, on est alle jeter un coup d'oeil dans la cabine, ou un parachute en soie flotte toujours dans les eaux. Puis les mitraillettes, la seule helice survivante, et le cockpit. Les sieges sont toujours la, ainsi que les manettes et le volant. La visibilite etait tres bonne, ce jour-la, et on pouvait admirer une vue panoramique de la quasi-totalite de l'avion, enveloppe dans un leger "brouillard" brunatre. C'etait vraiment hallucinant. Une sorte de reve etrange, dans lequel une enorme machine enveloppee d'eau est investie par des eponges geantes violettes et des poissons-lions aux tentacules zebrees.