08 février 2006




Malenge, les maisons sur pilotis. A Wakai. Le flotteur d'une barque togiannaise.

Odyssee aux Togeans

Premiere partie: Aller aux Togeans

L'un des problemes majeurs que rencontre le traveloque dans un pays lointain et inconnu est l'obtention d'informations fiables. Ce probleme est certes plus grand dans les pays ou la barriere de la langue se dresse, tel un mur de marbre intransigeant, devant le voyageur. En Inde, on peut se debrouiller en anglais (le probleme la-bas est plutot qu'on a affaire a de fieffes menteurs). A Bali, a Java, a Lombok, dans la belle et exotique Indonesie, les infrastructures touristiques sont tres developpees, et les gens parlent souvent tres bien anglais. Par contre, lorsque je me suis retrouve a Sulawesi, le cas de figure fut bouleverse. Pas un type qui parlait un mot d'anglais. L'avantage est que je fus force a appliquer les bases d'indonesien que j'avais appris et ca m'a fait progresse. Mais le manque de communication claire fut un obstacle dans mes peregrinations a travers le pays. Certes, le deficit en anglophones est compense, a Sulawesi, par le fait que les gens y sont extremement affables, toujours disposes a vous aider. Seulement, j'ai remarque que la politesse des autochtones peut vous jouer des tours... Une personne ignorant la reponse a votre question vous repondra souvent un truc au hasard par peur de vous deplaire. C'est comprehensible, mais perfide et agacant. Heureusement, le traveller aguerri dispose de subtiles techniques pour defier cette contradiction, qui sont les suivantes: a) La question posee a l'autochtone doit l'etre de facon a ce qu'elle ne puisse etre repondue par "oui" ou "non". b) Le voyageur doit s'adresser a un minimum de trois personnes pour avoir la certitude que l'information obtenue est fiable. c) Il vaut mieux verifier par soi-meme.

En general, ces problemes de globe-trotter sont resolus par la presence a ses cotes d'un allie de taille, fidele et fiable: J'ai nomme, the Lonely Planet Guidebook. LP detient, me semble-t-il, un quasi-monopole sur le marche du guide de voyage. En Inde, au moins 90% des touristes voyagent avec Lonely Planet (LP India a ete traduit en japonais et en hebreux). Cette popularite est meritee: Leurs guides sont fiables et bien structures. Le voyageur du 21e siecle a toujours un LP dans sa poche. Et le routard rime avec ringard...

Mais a Sulawesi, mon ami fidele m'a lache, le traitre. Les prix des hotels etaient trois fois plus eleves que dans le guide. Les bus avaient rarement la regularite annoncee dans le bouquin. Et surtout, mon cher guidebook contenait des infos depassees sur les departs des bateaux spour les Iles Togeans! Les trois regles du traveller prudent, que j'essayai d'appliquer avec rigueur, ne purent me sauver de quelques menues contrarietes...

Le 9 janvier 2006, je quittai l'ile de Bunaken pour Manado. Le but ultime etait les Iles Togeans. Pour ceux qui ont un atlas sous les yeux: Suivez la ligne de l'equateur d'ouest en est, en partant de Borneo, et observez comme cette ligne imaginaire coupe la grande baie qui separe le long bras septentrional des Celebes de sa partie meridionale. Cette baie est la baie de Tomini; y baignent, les Iles Togeans, placees un chouia au-dessous de l'equateur.

Mon trajet paraissait simple, comme cela, a vue d'oeil. De l'ile de Bunaken, je devais rejoindre Manado en bateau, ou je prendrais un bus pour Gorontalo, sur la cote nord de la baie de Tomini. Depuis Gorontalo, le ferry me menerait aux Iles Togians, apres environ 14 heures de trajet. D'apres un couple de touristes que j'avais rencontre quelques jours auparavant, le ferry partait une fois par semaine, tous les mardis (le LP pretendait qu'il partait le jeudi et le lundi). Mais j'ignorais a quelle heure de la journee il partait. Le 9 janvier etait un lundi; il fallait donc que j'arrive le lendemain matin au Gorontalo, pour etre sur d'attraper mon bateau. The stage was set!

Les avatars commencerent lors de la traversee de l'ile de Bunaken a Manado, sous la forme de la panne de moteur contee dans le blog du 9 janvier. A cause de la panne, je manquai le bus pour Gorontalo, qui partait seulement le matin. Je ne pouvais me resoudre a partir le lendemain, car je risquais de manquer mon bateau. C'etait comme dans les Lucky Luke, un train par semaine, et si je manquais mon bateau je devrais attendre une semaine entiere. Un type me dit qu'il y avait un minibus qui partait a 18 h pour Gorontalo. Un autre type m'assura de la veracite des dires du premier, puis un autre. Il etait 13h. Je les crus et me mis a attendre, malgre le degout que m'inspirait le vilain arret de bus de Manado. Ca sentait pas bon, dans ce terminal de bus, il pleuvait et j'etais pas content.

Comme je n'avais rien d'autre a foutre, je me suis dit que j'allais mettre a profit mon temps libre pour me faire raser. J'avais repere un petit salon de coiffure sympa et y entrai plein de confiance, me disant que c'etait surement comme en Inde, qu'ils rasaient bien les barbus. Grave erreur. Ce barbier incapable frotta vaguement un peu de savon sur ma joue et me rasa d'une main molle et hesitante. Il irrita ma peau de bebe et oublia beaucoup de poils dans les recoins de mon menton. Et puis... Je n'avais rien contre le fait que ce barbier-la etait un homosexuel aux manieres exagerement effeminees. Mais ce qui m'agaca, c'est qu'il insista lourdement pour me raser le pubis. Il a du me poser la question cinq fois. "Shave down there also?" Decidement, il faut que je me mette a me raser moi-meme... Les barbiers indonesien ne valent pas leurs admirables collegues indiens.

A 18 h, le bus annonce ne s'etait point materialise, et les auteurs de la prediction s'etaient desintegres. D'autres types me dirent qu'il y avait un bus a 20 h. Bien qu'assailli par le doute, je decidai encore une fois d'attendre, en desespoir de cause. A 20 h, pas de bus. Le lendemain, je me levai a 5 h pour tenter malgre tout d'attraper un bus assez tot pour embarquer dans mon bateau. Quelques personnes m'avaient dit que ce bateau partait le soir, j'avais toujours l'espoir de l'attraper.

Coup de chance, ce jour-la etait un festival musulman. Des 6 heures du matin, l'arret de bus etait occupe par une foule de fideles (ou infideles, suivant de quel point de vue on se place), tout de blanc vetus, qui ecoutaient, prosternes, un haut-parleur en plastique crier des machins religieux. Ce n'est qu'a 9h que le terminal reprit son activite normale. A 10h, je partis enfin pour Gorontalo, apres une dizaine d'heures passees a remacher mon ennui et a humer les effluves infectes du terminal de bus de Manado.

Le bus passa par les petites routes sinueuses de la peninsule, par de jolies collines et vallees verdoyantes, effleurant parfois les falaises de la cote oceanique. Sulawesi est magnifique. A 19 h, j'arrivai au port de Gorontalo. Mon chauffeur de rickshaw me rassura: Oui, il y avait un bateau pour les Togeans ce soir-la! Je me suis dit que ce type-la devait s'y connaitre, comme il amenait regulierement les passagers de l'arret de bus au port. J'etais aux anges. Mais les types du port tuerent mes espoirs dans l'oeuf fraichement pondu: Pas de ferry pour les Togeans ce soir-la. J'insistai en baragouinait dans mon bien pauvre bahasa. Mais le cuistre derriere son comptoir paraissait decide a ne pas m'aider.
- Pourquoi il y a pas de bateau pour les Togeans?
- Pas de bateau.
- Pourquoi?
- Pas de bateau.
- Quand bateau?
- Pas de bateau.
- Quand bateau Togians?
- Pas de bateau.

A se taper le cul par terre, comme dirait ma maman. Enfin bref, je me laissai convaincre par ce qui paraissait etre la triste realite: Pour aller aux Iles Togeans, j'etais oblige de passer par Pagimana, de l'autre cote de la baie de Tomini, a dix heures de bateau. J'entrai docilement, la tete basse, dans la gueule du gros ferry qu'on me designa. Le monde entier semblait s'acharner a ma perte... Quelques jours plus tard, j'appris que le bateau pour les Togeans serait parti le lendemain, mercredi, de Gorontalo (donc, autant les Tcheques que le Lonely Planet s'etaient trompes). Mais je ne laisserai pas la colere envahir mon coeur.

Le reste est histoire de patience. 10h de bateau jusqu'a Pagimana. De la, 5h de minibus pour rejoindre Ampana sur une route bosselee et sinueuse (certains troncons etaient goudronnes, c'est vrai). A Ampana, une dizaine de personnes tenterent de me persuader qu'il n'y avait pas de bateau ce jour-la, que je devais attendre le lendemain avant de partir pour mes iles cheries. Je n'en crus pas un mot. Me rappelant la troisieme regle du traveller mefiant, je decidai d'en avoir le coeur net. Effectivement, au port d'Ampana, il y avait un joli bateau en bois tout pare pour faire le trajet pour les Togeans. Sauve!

Le mousse, qui etait jovial, me dit que le trajet durait environ 5 heures pour arriver a l'ile de Malenge, ma destination. Il en prit 9. Bof, j'en etait plus a ca pres. Et puis, le voyage fut plaisant. Mon indonesien s'ameliorait, decidement. Sans y avoir contribuer autrement que par la paleur de ma peau, je fus rapidement le centre d'attraction a bord. Une jeune fille me demanda en mariage, devant tous les autres passagers. Je reussis a lui faire comprendre qu'elle etait trop jeune pour moi, mais que dans 5 ans, oui d'accord.

Deuxieme partie: Etre aux Togeans

Ah, les Iles Togeans. Petits bouts de paradis eparpilles sur une mer turquoise, claire comme de l'eau de roche.

Toutes ces iles sont couvertes d'une jungle epaisse, luxuriante, qui met a profit le soleil genereux et la torrentielle saison des pluies pour s'epandre en feuilles geantes, lianes parasites et troncs gigantesques. Cet enfer vegetal est le logis de tarsiers, de macaques noirs, de couscous (sorte de gros loir arboricole), de babirusas (les babirusas sont de gros cochons avec quatre longues defenses bizarres sur le museau, qui ne vivent qu'a Sulawesi). Les iles sont egalement l'un des dernieres refuges des "crabes a coco", ainsi nommes parce qu'ils sont capables de percer une noix de coco avec leurs grosses pinces. La legende les pretend meme capable de grimper aux cocotiers pour en detacher les fruits. Grimpeurs ou pas, ce sont les plus grands arthropodes terrestres du monde, ils peuvent atteindre la taille d'une balle de foot.

La population des Togians, elle, est tournee vers la mer. Toute la vie des Togiannais est liee a la mer. Leurs maisons sont construites sur pilotis pres de la rive. Ainsi, pas de trajet a pied pour aller au turbin, le matin. Le bateau est a cote de la maison, on y saute quand on va au boulot. Des leur plus tendre enfance, les hommes des iles pechent du ponton de leur maison. Puis ils partent sur des coquilles de noix pour tirer de leur maman a tous, la mer, de quoi manger. Leurs bateaux consistent en une petite coque centrale, faite d'un seul tronc d'arbre pour les plus petits, et de deux barres transversales en bois qui equilibrent le bateau en effleurant l'eau. Parfois, ils sont equipes d'un petit toit en feuilles de palme. A chaque fois que je prenais un de ces bateaux, la beatitude m'envahissait. Je m'allumais une clope au clou de girofle, dont le filtre vous donne un petit gout sucre sur les levres, j'entamais une chansonnette (generalement Leonard Cohen), et je passais mon temps a observer la barre transversale toucher l'eau, remonter un peu sous le coup d'une vaguelette, puis redescendre a nouveau pour effleurer l'eau (voire la photo). De temps a autre, un poisson-volant fendait les airs, parcourant quelques dizaines juste au-dessus de l'eau en voletant comme une hirondelle.

La proie de choix des pecheurs de la region est le concombre de mer, qui est une delicatesse en Chine, bien qu'il soit tellement difficile a attraper avec des baguettes. Il parait que, de temps en temps, les pecheurs qui plongent chercher des concombres de mer ou des perles se font croquer par les crocodiles marins. Ceux-ci habitent les mangroves, mais s'aventurent parfois en haute mer, voyageant d'ile en ile. Ils font generalement environ cinq metres, mais peuvent atteindre jusqu'a 9 metres.

Aux Togeans, les plus riches ont un generateur qu'ils font marcher le soir. Mais en general, il n'y a pas d'electricite, pas de voitures, ni de velomoteurs, a part quelques rares specimens dans la "capitale", Wakai. Il y a pas de biere non plus, sauf, la aussi a Wakai.

Le soir, je m'asseyais sur le ponton de mon hotel, sur la mer, a observer le ciel. On se sent seul au monde, dans un endroit comme cela. On reflechit a la vie des gens qui vivent sur ces iles, et a la sienne. Leur monde est tellement different du mien. Il est plus tranquille, plus simple, plus paisible. Il est rythme par la priere, cinq fois par jour, par le coucher et le lever du soleil, et par les arrivees des bateaux. Surtout, idee qui m'a plu, ce monde me parait etre un monde chaud et doux au toucher. On est presque toujours pieds nus, aux Togians. De ses pieds nus, on touche le plancher poli de sa hutte ou la coque de son bateau, chauffes par le soleil. La mer turquoise rafraichit, mais juste un peu, tout comme la brise qui souffle du large. Rien n'est froid, rien n'est bruyant, les sens ne sont jamais brusques.

Evidemment, si on adopte un point de vue quelque peu moins romantique, on peut aussi se dire que cet endroit est ennuyeux a crever. Rares sont les citoyens des Togeans qui s'aventurent au-dela d'Ampana, port le plus proche, peuple d'une dizaine de milliers d'ames. Je me suis vaguement imagine comment je me sentirais si je devais passer ma vie dans ces iles... mes speculations oscillaient entre un bonheur absolu et un intolerable ennui. Les Togians, paradis, ou trous a rats?

Ainsi, mon sejour a Malenge, petite ile denuee de tout tourisme, m'a permis de decouvrir la vie de sa population et son joli village sur pilotis. Mais j'avais choisi d'aller a Malenge parce que j'avais lu que la faune de sa jungle etait nombreuse. Je suis parti deux fois en exploration avec un jeune autochtone. En l'absence de sentiers, la marche dans la jungle etait extremement ardue. On a traverse des mares, on a glisse sur des pentes boueuses et on a lutte contre des plantes epineuses et grimpantes. Peine perdue, impossible de voir quoi que ce soit. La foret etait tellement dense qu'on ne pouvait rien voir a plus de 5 metres devant soi. Les macaques etaient bien caches dans la jungle touffue. La partie la plus etonnante de mon petit safari dans la jungle eut lieu a la rentree au bercail. J'avais loue un petit bungalow sur une plage entouree de jungle, totalement isolee, sur la cote opposee de celle ou se trouvait le village. La plage etait peuplee de centaines de Bernard-L'Hermites qui trainaient leur coquilles sur le sable blanc, a la recherche de quelque cadavre a becqueter. On avait donc fait le trajet en bateau depuis le village, avec deux types qui bossaient pour l'hotel, qui cuisinerent pour moi aux bungalows. L'un d'eux etait mon guide et vint avec moi dans la jungle pour le safari. Mais quand on est rentres, le deuxieme type n'y etait plus. On l'a cherche partout, mais il avait vraiment disparu. Moi, je me suis pas fait de souci, je me suis dit qu'un pote qui passait en bateau devant la plage l'avait chope au passage. Il etait impossible qu'il ait traverse l'ile a pied, le centre etait montagneux et couvert d'une jungle impenetrable, comme je venais de le constater.

Bin si, pourtant, c'etait bien ce qu'il avait fait, ce fou. C'est le lendemain qu'on l'apprit, en rentrant au village. Le type avait fui la plage parce qu'il avait pris peur.
- Peur de quoi?, que je demandai a mon guide, qui etait le seul homme qui baragouinait trois mots d'anglais sur l'ile.
- Peur des demons!
- ...?
Suivit une explication laborieuse comme quoi, ils etaient musulmans et, pour cette raison, ils croyaient aux demons et avaient peur d'etre seuls sur la plage. Lui aussi avait eu peur, la veille au soir, ce qui avait trouble son sommeil. Incroyable. Moi qui les prenait pour des durs, habitues a la vie dans la nature. Des froussards! Et je doute que leur pretendus demons aient quoi que ce soit a voir avec le Coran. Les indoneseiens aiment bien melanger leurs croyances animistes avec leur religion "officielle", que ce soit le christianisme, l'islam ou l'hindouisme. Les demons etaient bien Togiannais, pas arabes.

Troisieme partie: Sous l'eau aux Togians

Apres Malenge, je partis pour Kadidiri, ile minuscule nichee au milieu de barrieres de corail pullulant de vie. Certainement l'un des meilleurs sites de plongee en Indonesie, et je decidai d'en profiter pour "faire mon advanced", comme on dit. Le cours "PADI Advanced Open Water Diver" consiste en cinq plongees specialisees. La plongee en profondeur a 30 metres et la plongee d'orientation sont les deux premieres et sont obligatoires. Pour les trois autres, le plongeur a le choix entre plusieurs specialites. Moi, je fis la plongee de nuit, la plongee "naturaliste" et la plongee sur epave.

Plongee de nuit

Je commencai par la plongee de nuit. Du point de vue de mon voyage, je considere le monde sous-marin nocturne comme le troisieme "autre monde" que j'ai decouvert (le premier, evidemment, etant l'Inde et le deuxieme le monde sous-marin diurne).

C'est impressionant, la plongee de nuit. On a d'abord l'impression de s'enfoncer dans une soupe epaisse, dans laquelle la lumiere et le son n'existent pas. On ne voit jamais rien d'autre que ce qui est eclaire par la lampe de poche. Vous me direz, c'est comme dans une foret la nuit. Mais je dirais que le sentiment d'obscurite totale est encore accentue par le fait qu'on a pas de contact avec le sol... Comme on erre a travers la flotte, on a pas de point de repere, on ne voit souvent pas le fonds de l'eau. On est facilement desoriente. Alors, on s'approche des rochers, et on cherche, dans leurs creux, tous les etranges animaux marins qui ne sortent que la nuit. La premiere rencontre que je fis fut une "Moorish Idol" que j'avais derange dans son sommeil. Les Idoles Maures (j'ignore leur nom en francais...) sont de jolis poissons a la forme poetique, allongee et triangulairee, de couleurs noir et jaune. De mauvaise humeur a cause du reveil brutal, celui-la me prit en chasse. Je crois qu'il a essaye de me mordre la palme. Apres cela, j'observai des crabes multicolores, des crevettes minuscules et translucides, des murenes boudeuses. Le clou du spectacle fut un stonefish (poisson-pierre??) enorme dont la tete depassait d'un trou. Les stonefish sont des poissons a la peau rugeuse, sombre, qui font la gueule en se terrant au fond de l'eau, utilisant leurs corps pour passer inapercus. Ils ont des epines venimeuses sur le dos qui sont la cause de graves blessures, parfois de deces.

Avant la fin de la plongee, on s'est agenouille sur le sable et on a eteint nos lampes. Le spectacle lunaire s'est evanoui. On a agite nos bras dans l'eau pour agiter le plancton phosphorescent. Ca a fait plein de petites etincelles tout autour de nous. C'etait feerique.

Plongee en profondeur

Bin, on etait cense aller a 30 metres... finalement, on est descendus a 42 metres de profondeur. Arrive la en-bas, un courant glace nous a fouette les sangs, ouuuuuh. On a vu un gros pufferfish qui s'est gonfle en nous approchant.

On a fait le petit exercice de calcul et de reflexion pour demontrer la narcose a l'azote. La narcose a l'azote est un phenomene plus ou moins inexplique qui affecte les plongeurs a partir d'une certaine profondeur. L'azote te pete, en gros. Tu deviens quelque peu irraisonnable, tu arrives plus a reflechir, tu as tendance a prendre des risques et a devenir hilare ou paranoiaque, selon les cas. Les exemples donnes par les instructeurs comprennent celui d'un type qui donne de l'air aux poissons avec son detendeur. Pour demontrer la narcose a l'azote, l'instructeur me fit ecrire le nom de ma maman a l'envers a 40 metres sous l'eau. Quel drole de truc a faire. J'etais cense metter beaucoup moins de temps qu'a la surface, mais ca n'a pas ete tres concluant. Je crois que j'ai mis 2 secondes de plus pour ecrire esiocnarF. Heureusement, on ne m'a pas fait ecrire nresueahredeiN nov.

Cette plongee fut absolument magnifique. Je voulais plus remonter. Il y avait des petites limaces aux couleurs magnifiques. Des poissons-lions. Des poissons-papillons. Des poissons-chauve-souris. Des poissons-scorpions. Des poissons-chirurgiens.

A ce propos, j'ai remarque a quel point les gens manquent d'imagination pour nommer les choses. On rapporte toujours tout a ce qu'on a deja vu. Les types qui ont vu ces poissons pour la premiere fois, ou les usurpateurs qui ont ete charges, pour d'obscures raisons, de les baptiser, ont ete incapable de leur donner des noms corrects. Ils leur ont systematiquement donne les noms de ce qui leur ressemblait le plus sur terre, et ont mis "poisson" devant. C'est nul. Deja qu'en anglais, ils ont nommes des insectes "mouche" avec quelque chose devant (mouche a beurre = papillon, mouche-dragon = libellule). En francais, on a fait pareil avec chauve-souris. Vraiment, on aurait pu trouver des noms plus jolis. Par exemple, on aurait pu appeler le poisson-scorpion Tchipilipi. Pour le poisson-lion, je suggere Binga-bounga. Pour poisson-chauve-souris, Zipposphore. Pour poisson-chirurgien, Tisculosquine.

En rentrant de la plongee, on pourrait partager ses joies en s'exclamant: "Cher binome, as-tu apercu ce Tchipilipi qui se terrait dans le corail?" "Bien sur, et ce Zipposphore, tu te souviens?"

Plongee d'orientation

Pendant cette plongee, ma mission consistait a nous ramener au point de depart de notre excursion a travers des bancs de sables et des rochers. La promenade dura peut-etre vingt minutes. Pour m'orienter, je devais m'aider de ma boussole et des divers obstacles naturels que nous rencontrions.

Pour moi, le clou de cette plongee fut le secouage du concombre de mer par mon instructeur (voire blog du 26 janvier 2006). C'etait hilarant, et ca tombait bien, parce qu'avec l'experience, je commencais a etre capable de pouffer sous l'eau sans m'etrangler.

Un autre truc marrant, c'etait les chous petits poisson-clowns auxquels nous avons rendu visite. Ces poissons sont generalement noir ou orange avec des raies blanches (comme Little Nemo). Ils vivent en symbiose avec une dizaine d'especes d'anemones de mer. Ces anemones, qui sont des animaux et non des plantes comme on pourrait le croire, se protegent par une substance urticante. Les poissons a anemone sont couverts d'un mucus qui les protege contre ce poison. Ils vivent dans l'anemone, proteges par ses tentacules empoisonnees. En echange, le poisson defend l'anemone contre les intrus. La femelle est bien plus grosse que le male et c'est elle qui defend le territoire. Si la femelle meurt, le papa change de sexe et c'est a lui (elle) que revient le ministere de la defense. Ainsi, il y a beaucoup de transexuels chey les poissons anemones. Et l'histoire de Little Nemo est fausse, du point de vue zoologique. Souvenez-vous, Nemo vit seul avec son papa dans l'anemone. Ce qu'il se serait passe en verite, c'est que son pere serait devenu sa mere, et lui serait devenu le partenaire de sa mere/pere. Si, si.

Ce que j'ai constate lors de cette plongee, c'est que le poisson clown se distingue egalement par son courage sans egal. L'une des anemones auxquelles nous avons rendu visite abritait de petits poissons noirs et blancs. La femelle faisait peut-etre 8 cm. Pourtant, elle se revela un chevalier sans peur. Elle se dirigea vers moi a toute allure a plusieurs reprises pour essayer de me chasser. Puis elle se resolut a tenter l'assaut frontal. Je la vis foncer sur ma tete, en-dessus de mon masque. Elle me mordit le front hargneusement. Ca ne m'a pas fait mal, mais je ne pouvais croire que ce petit bout pouvait etre si valeureux. Je devais faire mille fois son poids!

A cote de l'anemone, Wolf, mon instructeur me montra un petit tas d'oeufs de poissons. Sous l'anemone, il y avait de petits crabes-porcelaine qui se cachaient. Ceux-la sont tres petits, mais tres, tres jolis. Ils paraissent vraiment etre de porcelaine.

C'etait aussi une demonstration des connaissances de Wolf sur la faune marine. Non seulement Wolf avait un diplome de biologie marine, mais il avait une experience de plongee phenomenale. A 38 ans, il a passe environ 8500 heures sous l'eau!!! Cela equivaut a une annee et demie de vie sous-marine. Ce type a plonge dans des grottes et des centaines d'epaves. Il m'a raconte comment il fut un jour coince dans une epave de bateau, dans la mer baltique, sans issue de sortie et dans une totale obscurite. Quoi de plus angoissant. Ses potes le sauverent a temps. Lorsqu'il travaillait pour l'institut oceanographique de Malte, Wolf battit le record du monde de plongee extreme, a 220 metres de profondeur. Cela a necessite 10 heures de decompression sous l'eau, a differentes profondeurs. Le record du monde est maintenant a 330 metres.

Malgre cette experience monumentale, Wolf m'a confie qu'il ne perdait pas son "respect" pour le monde sous-marin (le mot "respect" a une signification legerement differente en anglais... Le terme anglais contient moins de deference, mais plutot une sorte d'acceptance de la force et du pouvoir d'une personne ou d'un objet).

En fait, Wolf etait un type incroyable, le genre de types doues pour captiver son audience. Il me rappela Charles, legionnaire francais que Regis et moi avons rencontre dans le salar d'Uyuni en Bolivie. Un type qui a tout vecu et dont les histoires de vie sont interminables, aux levres duquel on reste pendus des heures durant. Charles nous avait raconte comment un petit chinois, a la legion etrangere a Djibouti, etait constamment l'objet de moqueries de la part des autres soldats a cause de son accent. Une nuit, le petit chinois audacieux coupa l'oreille de son plus feroce detracteur, d'un coup de rasoir, pendant son sommeil. Les officiers ne sont pas intervenus, et le petit chinois a ete tranquille depuis la. Wolf, lui, nous raconta plutot des histoires d'accidents de plongee. Par exemple, lorsqu'il travaillait comme sauveteur sur la cote de la mer Rouge, il fut intercepte par un poste israelien alors qu'il transportait des bombonnes d'oxygene pour un sauvetage en profondeur. Le soldat insista pour verifier le contenu des bombonnes... Wolf estimait qu'il lui restait environ vingt minutes pour sauver le plongeur. "If you touch the tanks, I touch you", fut l'avertissement de Wolf au soldat. "He touched the tanks, I touched him". Il ne dit pas de quel facon il "toucha" le soldat. Toujours est-il qu'il passa quatre jours dans une prison israelienne.

Une autre histoire impliquait les pecheurs a la bombe sur les Iles Togians. Bien que ce genre de peche soit bien entendu interdit, les pecheurs y avait recourt regulierement. Cela avait des consequences calamiteuses sur le corail. Il y a quelques annees, le gouvernement depecha une compagnie entiere pour pieger les pecheurs. Les soldats se tinrent caches pendant plusieurs mois sur une des iles, guettant le moment opportun pour surprendre les pecheurs. La scene se passa juste devant Kadidiri. Les soldats trainerent les soldats sur la plage. Apres leur avoir inflige quelques bons coups de crosses, bottes et poings, ils les firent ramper, les mains attachees derriere le dos, sur toute l'etendue de la plage. Apres quoi ils mirent le feu a leurs bateaux et detruisirent tout leur materiel. Le lendemain, la compagnie plia bagage. Il n'y a plus eu de peche a la bombe depuis lors.

Plongee naturaliste

Lors du petit cours theorique sur la faune sous-marine, j'appris un certain nombre de choses interessantes.

J'ai appris, par exemple, que la forme des animaux marins est largement influence par leur milieu de vie. Comme l'eau est plus dense que l'air, les poissons doivent avoir une forme aerodynamique pour se deplacer rapidement. C'est tout different sur terre: Hormis les oiseaux, les animaux ne sont pas forces d'avoir un corps aerodynamique. Par contre, la forme du corps est largement influencee par la force de gravitation et le manque de pression. Pour que le corps ne s'affaisse par sur lui-meme, il doit etre muni de parties dures. Un animal comme la meduse, par exemple, qui a une consistence tres molle, ne pourrait pas exister sur terre, car elle ne pourrait se deplacer.

Hormis ceci, j'ai appris des choses sur les relations entre vegetaux et animaux sur terre et dans la mer. Tres peu de lumiere penetre dans l'eau a une certaine profondeur; ainsi, il ya tres peu de vegetaux au fond de l'eau. La vie dans l'eau est basee sur le plancton, vegetal et animal sur le plancton, qui est la base de la chaine alimentaire. Sur la terre, au contraire, les vegetaux sont la base de toute vie, et les animaux sont extremement dependant des vegetaux de leur environnement.

Pendant cette plongee naturaliste, j'ai essaye d'apprendre a reconnaitre les coraux durs des coraux mous, et les coraux moux des eponges. C'est un exercice extremement difficile, tellement nombreuses sont les varietes de ces animaux, et tellement ils se ressemblent entre eux. Mon instructrice me montra aussi une eponge que quand tu presses il y a une sorte de liquide rouge qui en sort, comme du jus de tomate.

Ces plongees m'ont fait reflechir de facon quelque peu etrange sur la vie des poissons sous l'eau. En fait, a chaque plongee, je suis fascine par le retour a la surface. Quand on regarde la surface de la mer, depuis en-dessus, on ne voit pas a travers. Cela m'a frappe que ce soit exactement la meme chose dans les deux sens, depuis en-dessous et depuis en-dessus. En effet, considerons notre vision de l'eau depuis le dessus: Si on ne connaissait pas la consistence de l'eau, ou de ce qui se trouve au-dessous de la surface, on pourrait croire que sa surface est une surface dure, un plafond ou un sol en beton, quoi; de plus, quand on se trouve au-dessus de l'eau, on ne peut pas savoir ce qu'il y a en-dessous de la surface, sauf si un type qui y est alle nous le revele.

Eh bien, pour les poissons, c'est pareil, du dessous: pour eux, la surface de l'eau est quelque chose d'infranchissable, un plafond au-dela duquel (en supposant qu'il soit franchissable) ils ne peuvent survivre. Cela implique que pour les habitants sous-marins, il n'y pas de ciel. L'espace vital, le monde, est limite par deux murs horizontaux, l'un au-dessus, l'un au-dessous. Cette plus "grande" limitation de l'espace vital est compensee par le fait que, pour les poissons, la notion de "bas" et de "haut" n'existent pas vraiment, ou du moins, elle n'a pas une aussi grande importance que pour nous. Comme la densite de leur corps est reglee de facon a ce qu'ils aient une flottabilite neutre, les poissons restent en suspension dans l'eau sans effort (le plongeur fait la meme chose en pompant et en expulsant de l'air de son gilet gonflable). Ils se detachent ainsi des lois de la gravitation pour entrer en apesanteur. Si un poisson ne bouge pas, il ne tombera ni ne montera. Ou plutot, il ne tombera dans aucune des deux directions, le bas ou le haut. Le bas n'est pas, pour les poissons un endroit qui les attirent irresistiblement, comme pour nous, mais plutot un endroit caracterise par le fait qu'il y a des machins et des animaux poses dessus.

Evidemment, tout cela est different pour les animaux qui vivent sur le sol de la mer, comme les langoustes, et pour les poissons-volants.

Serge, corrige-moi si j'ai ecris des conneries sur la biologie!

Plongee sur epave d'un avion qui a coule pendant la deuxieme guerre mondiale

Je suppose que le lieutenant Etheridge a eu quelques sueurs froides dans son dos poilu, ce jour-la. Il a du penser a une mort imminente, a sa femme qui l'attendait, la-bas a St-Louis, et aux merveilleux gateaux au pommes qu'il ne mangerait plus, a la lingerie fine dont elle ne se denuderait plus devant ses yeux gourmands. Mais le lieutenant Eheridge tenait 11 vies entre ses mains et il fit preuve d'un grand sang-froid pour les sauver.

Ce jour-la, le 3 mai 1945, le bombardier B-24 etait parti en mission pilonner quelques bases japonaise au nord de l'Indonesie. Alors que l'avion etait encore loin de sa cible, l'un des reacteurs tomba en panne. La puissance de l'appareil ne suffisait plus a le ramener a sa base. L'avion survola les petites iles de la baie de Tomini a la recherche d'un lieu d'atterrissage force. Mais comme les iles presentent un terrain accidente et sont couvertes de forets, le lieutenant se resolut a amerrir au large d'une des iles, l'Ile Togian.

Bin oui, je suis desole de vous decevoir, mais le bombardier n'a pas ete victime d'une escarmouche aerienne avec la flotte japonaise, ou d'un tir de DCA. Il s'agissait d'une vulgaire panne de reacteur. Moi aussi, j'aurais prefere plonger sur un avion coule par les japs. Mais bon, je n'ai pas fait la fine bouche. C'est juste un peu moins rigolo a raconter.

Donc, l'avion s'est pose avec fracas sur la baie de Tomini. Mais la mer etait calme et l'amerrissage se deroula sans accroc. L'equipage entier s'en tira avec de minimes bobos et put etre evacue rapidement de l'appareil. Deux heures plus tard, lorsque l'avion de secours decolla pour ramener l'equipage a la base, l'avion flottait toujours. Il coula lentement et se posa sur le fonds de la mer dans une position quasi-horizontale, en ne subissant que peu de dommages.

5o ans plus tard, la vie marine s'est agrippe de toute part a la carcasse de l'avion. De nombreux poissons ont elu domicile dans sa cabine. Crabes et langoustes ont investi ses moindres infractuosites. D'enormes eponges ont pousse sur ses enormes ailes, qui sont toujours droites malgre la caresse incessantes des courants marins. Anemones, etoiles de mer, etoiles-plumes et coraux sont disperses sur toute sa surface. C'est un veritable paradis pour le plongeur. Michelle, qui me guidait, me montra d'abord le pneu du bombardier qui est toujours gonfle d'air apres plus de 5o ans. Ensuite, on est alle jeter un coup d'oeil dans la cabine, ou un parachute en soie flotte toujours dans les eaux. Puis les mitraillettes, la seule helice survivante, et le cockpit. Les sieges sont toujours la, ainsi que les manettes et le volant. La visibilite etait tres bonne, ce jour-la, et on pouvait admirer une vue panoramique de la quasi-totalite de l'avion, enveloppe dans un leger "brouillard" brunatre. C'etait vraiment hallucinant. Une sorte de reve etrange, dans lequel une enorme machine enveloppee d'eau est investie par des eponges geantes violettes et des poissons-lions aux tentacules zebrees.

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