04 janvier 2006


Jonglage et manucure

Parmi mon attirail de voyage figurent mes fideles boules de jonglage. Cinq robustes balles de couleur noire, blanche, orange, bleue et rouge. La boule rouge ressemble a une grosse tomate bien mure. Malgre cela, je n'aurais jamais suppose que mes boules puissent etre l'objet de convoitises d'un quelconque etre vivant. Certes, en Inde, j'ai rencontre un collegue jongleur qui s'etait fait chipe ses balles par un singe sur le toit de sa maison. Mais sur les plages indonesiennes, qui sont devenues l'endroit de predilection de mes jets aeriens, les primates font tous partie de la meme espece que la mienne, a la seule difference qu'ils sont parfois plus dodus ou moins poilus que moi. Le danger, pour mes boules, est venu d'une autre famille de mammiferes, plus petits et plus sournois: les rongeurs. Mes precieuses balles se sont fait grignoter par de mechantes dents bien acerees. Ca s'est passe a Kuta et a Padangbai, dans ma chambre d'hotel, alors que mes cheres boules se reposaient de leurs frasques aeriennes dans mon sac a dos. Ma boule rouge, le fleuron de ma flotte, sauvagement poignardee. Ma boule orange, la plus vive, laceree a quatre endroits differents. De leurs blessures beantes s'echappaient les graines de cereales qui leur donnent le poids et la consistence, ni trop molle, ni trop dure, necessaires a de bonnes boules de jonglage. Ce furent donc ces graines qui furent l'objet de la voracite de mon assaillant... et ce dernier ne peut avoir ete qu'un rat, ennemi hereditaire de l'homme, dont la sceleratesse n'a d'egale que l'endurance.

Quel plaisir de donner des accents dramatiques a ce petit incident. Mais sur le moment, j'etais perplexe. Je sprayai mes boules d'insecticide (je soupconnais d'abord des mites) et fermai bien mon sac a dos tous les soirs pour les proteger de nouvelles attaques. C'est qu'en Indonesie, je ne pourrai pas trouver des balles ayant la meme consistence et surtout le meme poids. Ainsi, des mon retour a Kuta, je me mis a la recherche d'un set de couture pour soigner mes boules malades. Puis j'allai a la plage pour y coudre tranquillement sur mon sarong.

Je suis pas particulierement doue en couture. Je savais meme pas comment bloquer le fil apres avoir termine les points de suture. Heureusement, le seigneur Ganesh a envoye Mama Loco se promener par la, et celle-ci s'est apercu de ma detresse. Mama Loco est une des nombreuses vieilles femmes qui arpentent la plage de Kuta pour gagner leur croute en vendant des ananas, des sarongs ou des messages. Son patronyme latin lui venait, non pas de ses talents pour la carrioca, mais de l'inscription LOCO sur son chapeau jaune. Son bizness a elle, c'etait la manucure et la pedicure. Quand je voulus la payer pour avoir repare mes balles (je ne vis pas d'inconvenients a lui deleguer ce boulot), elle refusa et me proposa une manucure. J'ai ete force d'accepter, il fallait bien que je la remercie pour le service rendu. Mes potes de Sumatra, la bande de surfeurs tatoues et chevelus avec lesquels je trainais a Kuta, se sont bien marres en me voyant me faire limer les ongles. Mais c'etait bien agreable. Apres ils etaient tout propres et tout brillants. Puis j'ai pu me remettre a jongler avec toutes mes cinq boules!

Au moment fatidique de paqueter mes affaires pour mon voyage, j'ai bien hesite a emporter mes boules, et surtout mes quilles. Elles sont bien encombrantes. Mais maintenant, je ne regrette pas d'avoir sacrifie quelques paires de chaussettes pour les avoir avec moi. L'Indonesie est un paradis pour le jongleur, avec son clement climat et ses multiples plages.

Les massues ne sont toujours pas ma tasse de the, mais je continue a faire des progres aux boules. Je travaille beaucoup aux combinaisons des differents trucs que je connais deja, a trois et a quatre boules. J'ai meme invente trois nouveaux trucs! Enfin, "invente" est une facon de parler... il y a bien sur d'autres jongleurs qui ont fait ces trucs avant moi. Mais je les ai decouvert tout seul en experimentant. C'est une source de fierte. A part ca, le jonglage a cinq boules est encore tres laborieux... Pourtant, cela fait maintenant une annee et demie que je l'entraine. C'est un veritable chemin de croix, le jonglage a cinq boules, mais je m'acharne, et petit a petit je m'approche du but. C'est extremement motivant d'apprendre quelque chose de totalement vain, et quoi de plus inutile que de savoir lancer cinq boules en l'air sans les laisser tomber!

Je me suis egalement mis dans la tete d'apprendre le mixmestre a quatre boules... Il s'agit de croiser les mains alternativement tout en continuant a jongler. A quatre boules, on doit faire passer sa main et deux boules par dessus son autre main,, puis repasser en jonglage central et passer l'autre main par-dessus, et ainsi de suite, le tout en continuant a jongler. Dans ce truc, la difficulte provient egalement du fait que le jonglage a quatre se fait de preference de l'interieur a l'exterieur; en changeant les mains de cote, l'interieur devient l'exterieur, ce qui fait qu'on doit faire tourner les boules dans l'autre sens. Oui, je sais Greg, c'est ambitieux. Mais le jongleur s'abreuve de defis! Un jongleur qui n'a plus rien a apprendre est un jongleur mort. Parmi les trucs que je voudrais apprendre figurent egalement la cascade a quatre boules et la marche du pingouin. Ce dernier truc est ainsi nomme parce que le mouvement des mains, qui rattrapent les boules sur le cote des hanches par un mouvement rotatif des poignets vers l'exterieur, fait penser a la demarche d'un pingouin. Dans la cascade a quatre boules, chaque balle est envoyee par la meme main dans les airs en decrivant un arc de cercle, pour etre rattrapee par l'autre main et reexpediee par-dessous a la main lanceuse. Ce truc demande une grande rapidite d'execution.

Porco dio, il est encore plus difficile de decrire ces trucs en bon francais que de les apprendre. Vous avez surement rien compris a mes explications.

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