30 janvier 2006


Le port de Manado

Nouvel-an a Manado et autres histoires

Les dragons de Komodo sont d'affreux reptiles lezaroides qui mangent tout ce qui bouge. Ils vont jusqu'a gober des cerfs et des buffles. Ce sont d'imposants sauriens: 3 metres de long. Mais ne vous imaginez pas ces lezards galopant a travers la steppe, tels le lion poursuivant sa gazelle. Non, les varans sont plus sournois. Leur salive contient plus de 50 bacteries, dont 7 transmettent une infection mortelle au mordu. Ainsi, ils se contentent de donner un bon coup de dents a leur victime en la prenant par surprise. Quelques heures plus tard, celle-ci succombera a sa blessure et le saurien assouvira sa voracite en toute quietude.

Comme j'ai toujours ete passione par la vie sauvage, la location de ce monstre sur le globe terrestre est stockee dans un coin de mon cerveau depuis ma plus tendre enfance. A mon arrivee a Bali, un jeune neurone fut envoye a travers ma matiere grise, avec pour mission d'informer les spheres dirigeantes de ma personne de la proximite du dragon. Il fut rapidement decide, a l'unanimite des votants, qu'il etait temps d'aller jeter un coup d'eil a ces vilains reptiles. Apres les lions asiatiques a Sasan Gir et les rhinoceros a une corne en Assam, les dragons de Komodo etaient la suite logique de mes peregrinations animalieres.

En date du 28 decembre 2005, j'avais deja passer trop de temps a Kuta, Bali, a faire le con. Mon brave cerveau etait reduit a une sorte d'eponge imbibe de biere. J'achetai mon billet d'avion pour le lendemain a destination de Lombok, d'ou un bateau devait me mener jusqu'a Komodo en passant par Sumbawa et me deposer a Flores. Apres avoir achete mes billets, j'allai deguster un nasi goreng dans un resto ou il passaient King Kong. J'ai hallucine: Ils ont mis des dinosaures dans Kong Kong! Vous avez vu? Il y a une scene ou King Kong se bat contre trois T-Rex a coups de poing! Si, si, a coup de poings! C'est trop drole. Enfin bref, les T-Rex m'ont fait penser au hideux varans que j'allais bientot contempler, et je m'en fus, le coeur leger, retrouver John et Sabine pour feter mon (croyais-je, du moins) dernier soir a Bali. Sabine est fribourgeoise et c'etait (croyait-elle, du moins) itou son dernier soir. John est anglais et il n'avait pas besoin de pretexte pour boire de la Bintang (Bintang = biere locale, dois-je le rappeler).

La soiree s'est bien passee. A six heures du matin, j'ai du aider John a gagner sa couche, car il etait trop cuit pour tituber (deux semaines plus tard, il a reussi a mettre le feu a son matelas en s'endormant la clope au bec... mais c'est une autre histoire). J'en tenais une vilaine, moi aussi. Sabine, qui disposait d'un reveil et pas moi, offrit de me reveiller trois heures plus tard pour que je prenne mon avion a 11h. Vous pouvez imaginer la suite. Reveil a dix heures, mal aux cheveux, merde putain il est dix heures, foutu mon fatras dans mon sac, couru chercher un taxi, peine perdue, avion loupe. Enfin, j'aurais tort de mettre la faute sur Sabine. Un traveller doit savoir ne compter que sur lui-meme. Sabine a aussi loupe son avion, mais volontairement, elle.

Je passai l'apres-midi a jouer au billard avec John. Comme beaucoup d'anglais, John etait redoutable au billard. Je ne commencai a gagner des parties que lorsqu'il entama son troisieme litre de Bintang, ce qui reduit legerement ses performances.

Apres le billard, je decidai d'agir. C'en etait trop. Ca faisait une semaine que j'etais a Kuta a trainer comme un vaurien. Malgre mes bonnes resolutions, je n'avais surfe qu'une seule fois et j'avais manque un avion. Mon honneur de globe-trotter etait en jeu. Il fallait que je vois le reste de l'Indonesie!

Ainsi, ce soir-la, j'achetai un billet pour Manado, tout au nord des Celebes, pres des Phillipines. L'acquisition du ticket me rasserena: au Celebes, il y a de superbes sites de plongee, de gros volcans et les plus petits singes du monde. Belles perspectives. Depuis la-haut, je pourrais peut-etre m'embarquer pour les Moluques ou la Papouasie. Exotisme et aventure. Decouverte et romantisme.

Seulement, ma situation a Kuta changeait radicalement: je me retrouvais avec une nouvelle "derniere soiree a Bali" sur les bras. Il fallait feter ca. Et me revoila a l'M BAR GO avec John. Malheureusement, ce soir-la, je commis une grave erreur dans mes calculs. Je pris bien trop peu d'argent et fus rapidement a sec. Or John et moi faisions un soiree tournee: il payait une tournee, puis je payais, etc. Quand je fus a court d'argent, John ne permit pas que je me deshydrate (ca peut etre dangereux, la deshydratation). Seulement, comme il n'y avait plus que lui pour payer les cocktails, c'est lui qui decidait du laps de temps ecoule entre chaque achat. Moi dont la volonte etait serieusement entamee par l'alcool, je me retrouvai a sa merci, a la merci d'une sorte de psychopathe de l'alcool. Les araks au miel et les Cuba libre pleuvaient, je les buvais, je fus submerge.

Le lendemain, gueule de bois, embouteillages et un chauffeur a la lenteur abominable, j'ai bien cru que mon cauchemar se repetait, que cette ile de malheur ne me laisserait plus jamais m'echapper. Mais j'arrivai a temps pour le check-in et j'eus le temps de m'acheter un journal pour y lire que le gouvernement americain avait emis un rapport deplorant les conditions de securite trop laxistes, largement en-dessous des standards internationaux, de l'aeroport de Denpasar-Bali. "Saperlipopette", que je me suis dit, "l'aeroport de Denpasar-Bali, c'est celui ou tu te trouves en ce moment meme!". Pas rassurant.

Ceci, et le residu d'alcool qui bouillonnait dans mes veines, et le sentiment que je volais dans un zingue de troisieme qualite, me rendirent extremement froussard, dans les airs. Jamais ete aussi nerveux pendant un vol, que ce soir-la entre Denpasar et Manado. Entre deux sueurs froides, je trouvai pourtant le temps de lire un journal. Je me souviens qu'il y avait un article sur une meuf qui voit des couleurs quand elle ecoute de la musique et qui percoit des gouts dans sa bouche quand elle voit des couleurs... il y avait aussi l'histoire d'un type, au Mali, qui s'est administre un sort le rendant invisible et est alle devalise une banque a poil (evidemment, la lotion anti-visibilite ne marchait pas pour les habits, pas con le mec). Je me souviens plus pourquoi, mais la police a reussi a le coincer malgre l'enchantement. Dans l'avion, il y avait aussi un petit fascicule qui se trouvait a la disposition des voyageurs, et qui contenait des prieres a prononcer pour un voyage sans encombres. Il y avait une priere pour musulmans, une pour catholiques, protestants, hindous, bouddhistes. Mais j'avais quand meme pas assez peur pour renoncer a mon atheisme. Je me contentai d'emettre un timide "Om Nama Shiva" du bout des levres. Apparemment, les Dieux se satisfirent de cette maigre concession, car nous avons atterri a Manado sans encombres.

En arrivant a Manado, j'etais surexcite. Que c'est enthousiasmant d'arriver dans une ile exotique et reculee. Mais le lendemain, je fus bien decu par ma visite de la ville. Manado presente une contradiction effarante. Nichee a l'entree d'une jolie baie, entouree de jolies collines verdoyantes, Manado devrait etre une perle, l'enfant cheri de Sulawesi. Pourtant, Manado est execrable. J'ai retrouve les depotoirs qui caracterisent les villes indiennes et les odeurs qui les accompagnent. La ville est extremement bruyante, even more so on new year's eve, as you can imagine: Dans tous les coins de rue, d'enormes haut-parleurs hurlaient une musique bete et assourdissante. Soit des tubes indonesiens kitschs, soit de sots remix technos de chansons occidentales. Par exemple, j'ai entendu "Ice Ice Baby" de Vanilla Ice cinq fois. Il y avait meme un remix techno de "Stairway to Heaven"!. Incroyable.

La seconde absurdite de la ville de Manado repond au gentil sobriquet de mikrolet. Les mikrolets sont de petits minibus a six places qui offrent des transports d'un coin de la ville a l'autre. Il doit y en avoir des milliards, de ces machins. Le Lonely Planet pretend que les mikrolets de Manado, mis bout a bout, ferait 75 fois le tour de la ville. Moi, je pencherais plutot pour 327 fois la distance de la terre a la lune. La ville est prise a la gorge, etouffee par ce flot d'absurdes vehicules bleus qui force leur chemin dans ses veines. Ils empechent meme les pietons d'avancer.

Mon sejour a Manado fut egalement terni par la chambre d'hotel miserable qui m'hebergea. Non seulement elle etait petite, non seulement elle etait sale, non seulement elle se trouvait a proximite d'un des fameux hauts-parleurs dont j'ai parle plus haut (Ice Ice Baby), non seulement la fenetre etait un trou sans vitre, non seulement tout ca, mais par-dessus le marche, le mur qui separait ma couche de celle de mon voisin, pour une raison qui m'echappe, perdait son existence a cinquante centimetres au-dessous du plafond, c'est-a-dire qu'il y avait une enorme ouverture entre ma chambre et celle d'a cote qui n'etait pas ma chambre, c'est-a-dire que j'entendais et je sentais tout ce que mon voisin faisait et des fois, ce qu'il faisait, c'etait aller aux toilettes.

Malgre tout, je decidai de profiter de l'incongruite que ne manquerait pas de presenter le nouvel-an a Manado, dans les Celebes. Le 31 decembre 2005, a 23 heures, toute la ville etait occupee a allumer des feux d'artifices et a ecouter de la mauvaise musique a 3000 decibels. Apres une petite promenade, j'avisai un groupe de teenagers qui me semblaient assez branches et leur demandai de m'indiquer une disco. Ils me menerent dans une boite plutot classe, au sixieme etage d'un supermarche. Le ticket d'entree de la disco donnait droit a un paquet de clopes au clou de girofle gratuit.

Minuit fut comique. De grosses trompettes en carton et des pailles phosphorescentes, prealablement distribuees a l'assistance, se chargerent de produire une certaine agitation sonore et lumineuse dans la salle. Dans les trompettes, on soufflait, et les pailles, on les agitait. Le chanteur du groupe de rock-pop qui animait la soiree, affuble d'une sorte de parure en peau de leopard et d'une perruque afro, entonna "The Final Countdown" sous le son des trompettes. C'etait assourdissant. C'etait genial. Tout a fait ce que j'avais attendu d'un nouvel-an en Asie.
Au bar, je me suis fait aborde par une prostituee sourde et muette qui devait avoir seize ans... je l'ai revu plus tard dans les bras d'un homme d'affaires indien qui, lui, avait depasse la quarantaine. Puis je me suis fait draguer par une jeune javanaise qui avait dix-sept ans. Ensuite, je rencontrai le chanteur du groupe dans sa peau de jaguar. J'eus le malheur de lui dire que sa robe etait "sexy". Il ne percut pas l'ironie dans mes propos, et m'emmena au bar en me tenant par la main, en me faisant des sourires aguicheurs. Je dus me refugier sur la piste de danse. Le DJ jouait justement un remix techno d'une chanson de Nirvana. Je fus consterne. J'essayai d'expliquer au type qui dansait a cote de moi que le DJ etait en train de tuer Kurt Cobain une deuxieme fois. "He's killing Kurt Cobain!" Le type m'a regarde avec un grand sourire et a dit: "Yes, yes!" "NO, NO, IT'S BAD!!!" que je lui hurlai dans l'oreille. J'essayai vainement de lui faire comprendre que ce que faisait le DJ etait mal. Mais nos connaissances mutuelles d'indonesien et d'anglais ne permettaient pas de communication satisfaisante.

Le haut-parleur devant ma fenetre me reveilla en sueur a 6h30 du matin, le 1er janvier 2006. Il faisait chaud, a Manado, et je decidai de ne pas m'attarder dans ce trou a rats. J'attrapai un bus surpeuple qui me tarauda les articulations mais me deposa au pied d'un beau volcan, entoure de foret luxuriante et de plantations de manguiers, bananiers, arbres a clous de girofles. La salle de bain de mon nouveau chez-moi, de mon joli bungalow etait peuple de gentils moineaux. Les rats et les geckos se promenaient allegrement sur mon toit et mes murs. La, entoures de ces petits animaux, je pus me reposer de l'humanite hostile, et fourbir un plan pour prendre ma vengeance. Le lendemain, je suis alle escalader le volcan Lokon (voire photos) avec un type qui voulait y aller avec moi pour parler le francais, et un autre qui voulait apprendre l'anglais mais qui etait si timide qu'il a pas souffle mot de toute la journee. Apres l'excursion, on est alle mange du chien chez le type timide. Ca faisait longtemps que j'avais pas mange du chien, moi. C'est marrant, pendant qu'on mangeait, il y avait deux clebs qui nous regardait en agitant la queue.

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