05 février 2006

Wo ai Xingjiapo (I love Singapore)

L’Indonesie et les clopes au clou de girofle me manquent deja. Surtout les types qui glandouillent dans la rue et te lancent des hello mister agacants.

Singapour, ca change de tout ca. Oh oui, ca change. Les routes sont plates et si tu paies avec l'equivalent de dix francs suisses, les vendeurs ont toujours de la monnaie. Mais j’aime Singapour aussi. Oui, il est vrai que Singapour est gouvernee par des infames qui censurent la presse et ecrasent les jetteurs de megots par terre d’amendes pharamineuses. Oui, Singapour est un temple au capitalisme, un gigantesque supermarche.

Mais Singapour est une cite ou on se sent bien, quoi. Il fait chaud, il y a des palmiers et la mer. La ville est propre, spacieuse, aeree par de jolis espaces verts. Les trottoirs sont larges, la circulation est moderee, les transports publics sont agreables. Tout a l’air tout neuf, a Singapour, grace a une sorte de mysterieux systeme de renovation perpetuelle. Singapour chouchoute ses citoyens. Le reseau de metro, ultra-moderne, en est un bon exemple. Tout le reseau est climatise. Les automates a billets affichent une carte du reseau, et il suffit de presser sur la station desiree pour acheter son billet. Celui-ci n'est pas en papier mais en plastique magnetise. Il y a des petits panneaux partout, dans le metro comme ailleurs, qui disent aux gens ce qu’ils doivent faire, ce qu’il doit pas faire, ce qui est dangereux. Manger dans le metro est susceptible d’une amende de 500 Dollars (environ 400 CHF). On ose pas non plus avoir un durians dans sa poche parce qu'ils sentent pas bons (le durian est l'equivalent, au niveau d la puissance olfactive, d'un camembert degoulinant). Si un escalier roulant va changer de direction, on l'annonce quelques jours auparavant aux citoyens (“Attention, a partir du 8 fevrier 2006, cet escalator circulera de bas en haut et non plus de haut en bas, de 6h a 8h 30 du matin.” Si, si!) Les hauts-parleurs avertissent en chinois, en anglais, en hindi et en malais qu'il faut se tenir a la rampe en utilisant les escaliers roulants. Et les Singapouriens doivent faire attention de faire juste, ils sont surveilles: environ 40 cameras dans chaque station de metro.

Singapour chouchoute ses citoyens, oui d’accord, mais si ceux-ci font le moindre pet de travers, elle les fesse. Et je parle literalement. Pour la fessee, pas pour les pets… Le prout n’est pas interdit a Singapour, mais c’est certainement pour la seule raison qu’une telle prohibition serait trop difficile a appliquer. C'est qu'une question, moi je dis... Il y a surement des types dans un laboratoire secret, dans les sous-sols de Singapour, qui travaillent a un detecteur de pets pour ascenseurs. Un pet, 500 singaporedollars d'amende! Ca serait bien.

Moi, ce que j’adore ici, c’est qu'il fait bon se ballader. Le pieton dispose d’une multitude de tunnels et de petits ponts qui relient les immeubles les uns avec les autres. On se deplace souvent un niveau au-dessus ou au-dessous des Hondas et des Toyotas. Cela fait partie, certes, d’un veritable plan machiavelique pour leurrer les badauds dans les centres commerciaux de la ville. Les stations de metro debouchent souvent directement dans les centres commerciaux. En fait, Singapour est un gigantesque centre commercial. A Orchard Road, grande avenue constituee de dizaines de centres commerciaux, donc de centaines, voire de milliers, de magasins, on pourrait passer trois jours sans retourner deux fois dans la meme boutique, et certainement sans jamais voir le jour, car tous les centres sont relies entre eux par des souterrains ou des ponts. Les boutiques alternent avec des chaines de restos et de cafes. J'ai teste quelques chaines de cafe (il y en a surement beaucoup d'autres): Pacific Coffee Company, Coffee Bean, Coffee Club, Blue Bloody Coffee, Starbucks... Entre tous, je decerne la palme a Coffee Club, dont le menu est reminiscent d'une critique oenologique: description detaillee de chaque type de cafe, de son origine, de son taux d'acidite, etc. J'ai goute leur cafe ethiopien qui etait succulent.

Un autre grand bonheur, ce sont les enormes librairies qui ouvrent jusqu’a minuit. Je pourrais trainer la-dedans pendant des journees, des nuits entieres, comme un vilain ragondin, a grignoter des bouquins. J'en ai trop achete, d'ailleurs, et mon sac a dos est a nouveau surcharge. C'est que mes book swaps, echanges de bouquin, n'ont pas ete tres fructueux ces derniers temps, les backpackers que je rencontre m'offrent des croutes. A Singapour, j'ai trouve le livre que je cherchais depuis si longtemps, Papillon, l'histoire vraie de l'evasion d'une prison guyannaise. Je me demande si ce sera aussi passionant que l'histoire de l'evasion de Casanova de sa prison venitienne (ca c'est un bon bouquin aussi, l'evasion de Casanova, surtout le passage ou il fait croire a son compagnon de cellule qu'un ange descendra du ciel pour le punir, et ca arrive vraiment, le complice de Casanova, qui occupe la cellule en-dessus, debarque par un trou dans le plafond, tout de blanc vetu, le compagnon de cellule est hebete et Casanova en profite pour s'echapper par le toit de la prison).

Un petit truc qui derange, a Singapour: comme partout en Asie, la climatisation est trop forte. Il fait froid, dans leurs magouzes. Une fois que j’etais a siroter un café devant ma librairie favorite, j'ai ete irrite par les effluves d’air froid qui s'echappaient quand quelqu’un ouvrait la porte. Une sorte de courant d’air a rebours, si on veut. A Singapour, on enfile un pull lorsqu’on entre dans un immeuble. Ca, je comprendrai jamais, pourquoi les Asiatiques s'obstinent a creer des temperatures arctiques alors qu'il fait si bon chaud.

Il y a aussi les gadgets, a Singa. Mon premier jour, j'ai decide de trotter a l'ombre des gratte-ciels au petit bonheur la chance. Naif traveller, devenu un petit campagnard apres quatre mois passe dans la jungle et le caca, que ne fus-je point ebahi en assistant au miracle gadgeto-electronique et bidulatoire de la cite du lion de mer. A la Gaston Lagaffe, que c’est, parfois. J'ai assiste par exemple a une demonstration d'un aspirateur autonome equipe d'un sonar qui detecte aussi bien les obstacles, les cages d'escaliers que les dechets et retourne tout seul a sa base de rechargement. Les toilettes de Singapour, elles, sont dotes de seche-mains futuristes qui enveloppent les menottes humides de tous les cotes. Dans un bistro, les pissoirs etaient numerotes de 1 a 7. Comme ca, on choisit le pissoir avec son chiffre prefere. D'autres pissoirs, dans une disco, equipes d'une tele, pour ceux qui s'ennuient quand ils font pipi. A l'entree des centres commerciaux, il y a des distributeurs de sacs en plastique pour parapluies mouilles, pour pas qu'on cochonne tout (la, je me suis dit, c'est fou, ils sont pires que les suisses-allemands). Je suis alle me faire couper les tifs dans une chaine de salons de coiffures “10 minutes, 10 dollars”. Le salon etait equipe d'une sorte de micro-ondes a rayon UV pour steriliser les peignes et d'un aspirateur a cheveux a passer sur la tete du tondu. Dans le metro, on ne doit meme pas sortir son billet pour passer les moulins: l'automate detecte les billets a travers le porte-monnaie ou le sac a main du passager. Mais le plus beau, de tout ca, c'est le putzeur aquatique. Ce bateau de la commune de Singapour, qui sillone la riviere toute la journee, est equipe d'une sorte de tapis roulant dans sa partie anterieure, qui aspire tous les dechets qui flottent a la surface de l'eau.

Un autre cote fascinant de Singapour est son cosmopolisme. La population de la ville est constituee a 77% de chinois, a 14% d'e malais et a 8% d’indiens. Tout ce petit monde parle tres bien l'anglais, mais on comprend rien a ce qu’il racontent. Pas une fois ou j'ai pas du me faire repeter ce qu’on me baragouinait. Les Chinois, en dehors de leur accent, ajoutent les traits de grammaire de leur langue a l’anglais (pas de conjugaison, pas de temps: I go tomorrow, I go yesterday). Les Indiens, eux, emettent les sons du fonds de la gorge, comme ils le font en Hindi. Cela donne une sorte de gargouillis inintelligible. Je trouve ca extremement comique d’entendre des Indiens parler anglais entre eux, je sais pas pourquoi.

Pour moi, il est etrange de voir ces specimens de deux pays que je connais bien en dehors de leurs ecosystemes naturels. Avec le depaysement, ils ont perdus certains de leurs traits familiers. Les Chinois ne sont pas criards et cracheurs comme a Pekin. Les Indiens sont polis et leurs quartiers (Little India) sont tout proprets. Cependant, les Indiens restent moustachus. Les Chinois sont bien des Chinois, parce qu'ils sont obsedes par la gastronomie. C’est bien connu, un chinois pauvre, il va depenser beaucoup d’argent en bouffe. Un chinois riche, il va depenser tres beaucoup d’argent en bouffe (en fait, tout ce qu’il ne depense pas en bidules electroniques).

Singapour recele d’une multitude de restaurants, de toutes sortes de restaurants, de toutes les cuisines du monde, mais en particulier de formidables restos indiens et chinois, ou on peut se delecter les papilles des multiples facettes de ces deux extraordinaires cultures culinaires. Pour prendre un exemple au hazard: Moi, tel que je vous parle, depuis que je suis ici, j'ai deja mange un sandwich au saumon a l’irlandaise, un canard au concombre a la chinoise, un dosa vegetarien et un mouton masala avec des chapattis et un bon tchai, un steak argentin, des sushis avec la delicieuse moutarde japonaise, verte que j'adore et beaucoup de soupes de nouilles. Oi, je fus heureux de manger du saumon… Dans le resto irlandais, il y avait un bouquin avec des photos de l’Irlande… une photo de la statue de Molly Malone, devant Grafton Street a Dublin. Des photos du Connemara et des Iles d’Aran. J’ai failli pleurer. Mais Oi, j’etais aussi heureux de manger avec des baguettes (attraper les bouts de concombre de mer fut un challenge quasi-insurmontable). Et Oi, j’etais heureux de manger avec ma main droite, comme en Inde. Vous savez, quand on mangent avec ses doigts, on les utilise comme prolongement des papilles. On goute les aliments avec ses doigts avant de les porter a sa bouche. On les palpe, on decouvre leur consistence avant de decouvrir leur gout. Ce sont les preliminaires, avant le plaisir buccal.


La pensee du jour: Ah quel beau monde, dans lequel il y a des endroits aussi chaotiques et fous que l'Inde et des endroits aussi propres et absurdement rationnels que Singapour!

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