21 avril 2006




1. Depart de Viti Levu 2. Tetu cheval 3. Une souris s'est cachee dans cette photo, la voyez-vous?

Longue journee a Vanua Levu

C’est peut-etre grace au kava que j’ai bien dormi sur le vieux cargo grec. Pas cafe, kava. Le kava , extrait de la racine de grog, est un liquide brunatre au gout legerement savonneux. On le consomme dans de petites coupes faites de noix de coco et apres on a la bouche toute engourdie. Ca pete un peu, on a un peu sommeil et on est un peu content. Ce petit sommeil et ce petit bonheur etaient traditionnellement reserves aux chefs de villages et bu dans de solennelles ceremonies. A Fiji aujourd'hui, on le boit entre potes: le kava est un liquide brunatre mais social. Malgre ses qualites apaisantes, il a ete banni dans quelques pays de l’hemisphere occidental a cause d'une etude pondue par une bande de medecins allemands. Le papier reputa le kava mauvais pour les reins et l'on l'interdit. Lorsqu’il fut constate que les sujets de l’etude etaient pour la plupart consommateurs de bien d’autres drogues, il etait deja trop tard. Cela prouve bien que la probabilite qu’une substance se fasse interdire depend davantage de son origine culturelle et de son implantation dans la tradition locale... que de ses consequences pour la sante (je ne parle pas de la vodka ni des clopes bien entendu).

Enfin ce soir-la, le 6 avril, mon bel appareil photo et moi etions enfouis au fonds de mon fidele sac a couchage butterfly H-30. Mon passeport, ma carte bancaire et mes dollars etaient a l’abri dans ma poche secrete a l'interieur de mes pantalons, ne l'ebruitez pas. Je m’assoupis l’esprit tranquille sur le metal rouille du vieux bateau, sous l’influence bienfaitrice du roulis et du kava. A 7h du matin, j’etais prêt a affronter Vanua Levu, la torride.

Les iles du Pacifique sud fascinent par leur minuscule petitesse qui n’a d’egale que l’enormite implacable des etendues qui les entourent. Sa majeste l'Ocean Pacifique couvre pres de 50 pour cent des etendues aquatiques de la planete. Dans ces conditions, les divers atolls, archipels et ilots volcaniques sont des cacas de mouche.

Cacas de mouche, certes, mais cacas de mouche dotes de merveilleux climat et de plages paradisiaques. Mais la particularite des iles Fidji reside dans leur grande diversite culturelle. Milliers sur milliers d'Indiens ont ete improbablement parachutes dans ce coin du monde (pas indiens d'Amerique, Indians from India with a funny accent). Il y a dix ans encore, la majorite des citoyens fidjiens etaient d’origine indienne. Quelques dizaines de milliers d’entre eux ont decampe après les coups d’etat et remous ethniques des quelques dernieres annees. Au cours de la turbulente histoire de la democratie fidjienne, les fidjiens de souche se sont constamment attaché a trafiquer la constitution afin d’ecarter les Indo-Fidjiens des rennes du pouvoir, en s’appuyant sur la vieille structure des chefs de villages. Jusqu'a maintenant, ca marche. L’unique premier ministre Indo-Fidjienne a ete demise de ses fonctions après quelques jours de regne ("in a bloodless coup", comme ils disent). Au niveau individuel, la discrimination est aussi directe. Les Indo-Fidjiens n’ont pas le droit d’acquerir le moindre lopin de terre. Le schema abouti de cette regle semble etre fait pour durer: les Fidjiens detiennent le pouvoir politique et immobilier, tandis que les Indo-Fidjiens possedent la quasi-totalite des petits commerces et dominent le secteur tertiaire.

Alors, d'ou ils sont tombes tous ces Indiens?

Eh bien, voyez-vous, les Anglais ont donne aux Fidjiens la manie de raser le gazon a ras du sol trois fois par semaine. Ils leur ont egalement apporte la passion du rugby. Avec tout ca, ils ont aussi apporte des Indiens, comme ils l’ont fait a Hong Kong, a Singapour et a Trinidad. Les Indiens etaient engages pour cinq ou dix ans pour travailler (et se faire maltraiter) dans les plantations de cane a sucre. Beaucoup, en particulier les membres des basses castes, qu’un meilleur statut social attirait a Fiji, sont restes. Ca s'est passe a la fin du 19e et au debut du 20e siecle. Depuis lors, presque tous les restaurants, a Fiji, servent des currys et des rotis (le roti est un petit pain plat et rond).

Arrive a Vanua Levu, je me suis amuse a faire bouillir des oeufs dans l'un des petits jaccuzzis que la nature a offert a la municipalite de Savusavu. Je dis jaccuzzi mais je ne tremperais pas mes fesses poilues dedans, au risque de les voir defigurees. A la belle epoque du cannibalisme, je soupconne que ces sources etaient utilisees pour cuire a la vapeur les guerriers ennemis.

Avec les oeufs volcaniques, j'ai bu un cafe tres fort et un surplus d'energie a chatouille mes mollets. Mon cerveau bouillonait, tout excite de decouvrir un nouveau pays plein de lagunes bleutees et de jungles mysterieuses. Je decidai de prendre l'un des jolis bus colores peuples de tetes crepues que j'avais vu devaler les pentes. Peut-etre que si j'en prenais un j'aurais la tete crepue aussi. Le chauffeur avait colle des Ganesha et des Oms partout et il y avait une poule rousse qui croassait dans un carton a cote de moi. La poule m'indiqua l'entree du parc national que je comptais visiter. J'etais un peu inquiet: le voyage a dure 45 minutes alors que le parc etait cense se trouver a 20 km de Savusavu et j'avais prevu de rentrer a pied au village. De surcroit, une fois le bus parti, je constatai que l'entree du parc etait cadenassee. Bof. Je partis a pied dans la direction d'ou j'etais venu.

A Fiji, les gens deambulent souvent sous de jolis parapluies multicolores, pour se proteger des assauts du soleil des tropiques. Moi, par principe, je suis contre les parapluies. J'etais donc perdu au milieu de la superbe jungle fidjienne, a la merci de l'astre, comme ce pauvre cheval que j'ai rencontre en chemin. Celui-la tentait de se venger de la race humaine en plantant ses quatre fers au milieu du Hibiscus Highway. Quand un pick-up approchait, il ne bronchait pas. Mais moi, j'ai ete sauve par un businessman indo-fijien qui m'a accueilli dans son minibus. Le commerce de ce type consistait a vendre des DVD aux quatre coins de l'archipel. Il vendait des films d'action pour les enfants indiens et des films cochons avec des blondes pour les papas indiens. Inevitablement, la conversation a glisse sur mon statut conjugale. Il a du me considerer un bon parti car il m'a dit "avoir une fille pour moi". A sa proposition, j'ai eclate de rire avant de realiser qu'il ne s'agissait pas d'un calembour, qu'il avait vraiment une fille pour moi. J'ai mis mon rire indecent en chandelle. Krishna (qu'il s'appelait) se proposait de me presenter sa niece, agee de 22 ans et la taille fine. Elle etait chretienne ce qui etait ideal pour moi. Je pouvais la rencontrer pour me faire une idee et en parler a mes parents ensuite. Hehe. Avec tout le tact dont je fus capable, je m'efforcai de paraitre interesse par sa proposition tout en esquivant une date precise pour la rencontre preconjugale.

Rentre a Savusavu, le jarret me picotait toujours. Un sympathique fidjien rencontre sur le chemin de la plage me proposa de l'accompagner a l'hotel de Jean-Michel Cousteau, fils du commandant. Le nom du fidjien m'echappe, Roiko ou quelque chose dans le style, pour simplifier je l'appelerai Royksopp. Nous nous mimes a tchatter tout en cheminant le long de l'ocean. Royksopp me conta que son arriere-grand-pere etait le grand chef qui a vendu Fiji aux anglais. Moi je lui racontai des histoires sur l'Inde. Il semblait absolument fascine par le fait que j'etais alle en Inde et encore plus par les histoires d'elephants. Je lui expliquai qu'en Inde, on rencontre parfois un elephant au coin d'une rue, dans les grandes villes et que les elephants sauvages attaquent parfois les villages et arretent les trains. Ca m'a d'ailleurs rappele que sur la plage a Ko Phan Ngan, le soir de la Full Moon Party, quelqu'un m'a dit qu'il y avait un elephant sur la plage, mais je ne me souviens plus si c'etait un reve ou si j'ai vu l'elephant ou si c'est la vodka qui l'a vu. Quoi qu'il en soit, tout en racontant des histoires d'elephant a Royksopp, je remarquai une mouche insolite posee sur son epaule. Les mouches ont habituellement l'insolente, agacante manie de tourner en rond autour de vous; point n'en etait le cas avec la mouche de Royksopp, qui restait paisiblement sur son epaule. Tout en discourant sur les cites indiennes, j'epiais du coin de l'oeil le curieux insecte. Il ne bougeait pas. La mouche n'a pas bronche d'un cil tout le long de la marche, pendant une heure et demie. J'avais affaire a un dompteur de mouche. L'insecte n'a disparu que lorsque Royksopp s'est fait attaque par le chien de Jean-Michel Cousteau Resort.

Cousteau Resort etait peuple de millionaires a 600 US Dollars la nuit. On a vu un gros requin qui sautait hors de l'eau.

Apres cela, j'ai rejoint la cuisine de mon auberge ou la patronne m'apprit a cuisiner le Mitchi. Ma visite au marche le matin m'avait mis sur les bras deux ingredients inconnus: le tapioca et l'ota (l'ota est un legume qui ressemble a une fougere). Avec cela, j'avais achete des coconoix. Savais meme po comment ouvrir mes coconoix. Heureusement, la patronne a debarque. Elle a rapidement pris les choses en main et j'executai le Mitchi sous ses ordres (la recette du Michti apparaitra sur le blog dans quelques jours, si Dieu le veut bien).

J'avais fait rendez-vous avec Royksopp apres souper. Le coquin en profita pour me presenter un russe du nom de Roma, dont l'occupation consistait a arpenter les lagunes pour harponner les poissons. On est alle boire un pot. Royksopp parlait si doucement que je devais agiter mes lobes auditifs devant sa bouche pour le comprendre. Quant a Roma, son accent slave etait tres fort et j'ai eu une peine enorme a comprendre l'histoire de l'ours, hormis les parties qu'il a mime. Roma etait fluet mais avait un certain talent pour imiter les gesticulations de l'ours et ses grognements. Alors qu'il chassait le lievre dans la foret, un gros ours est apparu derriere lui, sans prevenir, et s'est mis a souffler bruyamment. Presumant des intentions hostiles, Roma a mis son fusil sur l'epaule, dirigeant le canon derriere lui, et a tire dans les airs. L'ours a decampe, mais un autre omnivore est apparu en face de lui, a une cinquantaine de metres. Roma n'a pas hesite: Poum poum (Roma avait une joie evidente a imiter le poum poum de son fusil). Il a entendu har har hhar har har hhar har har hhar har har hhar har har hhar l'ours avait rendu l'ame. C'est alors que Roma entendit, a sa consternation, les miaulements des petits oursons qui pleuraient leur maman. Il est rentre a la maison tout penaud, qu'il a dit, deplorant d'avoir rendu orphelin deux oursons. J'ai essaye vainement de comprendre pourquoi il avait tire sur un ours alors qu'il chassait le lapin. Avait-il eu peur? "Il etait en face de moi, j'ai fait: Poum Poum!", a-t-il repondu a chaque fois. Le lendemain matin, Roma est alle voir le cadavre de l'ours, au milieu de la clairiere ou l'execution avait eu lieu. Les petits oursons tetaient sur le corps sans vie de leur mere.

Il etait deja quand je rentrai a l'auberge. Leslie, la fille de la patronne reussit a me persuader de l'accompagner a la boite de nuit de Savusavu. J'etais epuise mais curieux de decouvrir l'ambiance d'une disco fidjienne, rurale de surcroit, alors je la suivis. Le videur a refuse nos tongues et shorts et nous a renvoye nous changer. La fille de la patronne etait un garcon manque et mon unique paire de frocs etait a la launderette; alors elle m'a prete des pantalons avec des paillettes dessus. On est retourne a la disco, moi avec mes pantalons brillants. Le patron etait une sorte de vieux chinois desabuse. Il sucait clope sur clope, ecroule dans un coin de sa boite, cultivant ses enormes cernes. La barwoman trop maquillee avait depasse la cinquantaine mais lancait des regards aguicheurs a ses jeunes clients. Peu nombreux, qu'ils etaient, ses clients. En fait, c'etait presque vide. Leslie me presenta ses deux potes homosexuels. Le premier faisait pres de deux metres, avait une grande chevelure crepue et la gentillesse d'un mouton. Le deuxieme etait petit et soit tres bourre, soit un peu desequilibre dans sa caboche; il s'est mis a balbutier un discours desordonne ou semblait s'exprimer sa revolte contre l'envahisseur blanc et touriste. Dans les premieres phases de la conversation, je m'en sortis par quelques vagues "yes, yes" et un sourire complaisant. Mais bientot, le petit trapu insista bientot pour une participation plus active a notre conversation. Bientot il n'y eut plus d'echappatoire et je choisis la fuite. Lorsque je lui annoncai mon intention de m'en aller, le petit trapu me regarda droit dans les yeux, secoua la tete et dit: "non!". C'etait pathetique. Ensuite j'ai du convaincre Leslie et le grand type de me laisser partir. Leslie semblait connaitre la couleur des chaussettes de chaque habitant de Savusavu; elle a arrete la bagnole de flics qui passait par la pour qu'ils me conduisent a mon hotel.

En arrivant a l'hotel, je nourrissais l'illusion de passer une nuit paisible. Mais le clebs, ce clebs, avait bien prepare son coup. Toute la journee, il s'etait tenu tranquille, ronflant sous le soleil, fourbissant ses armes pour rendre ma nuit un enfer. Quelques minutes apres que je me fus etendu, il s'est mis a aboyer. Quand il s'est arrete, le coq s'est mis a chanter. Puis le clebs a pris le relais. Les deux comperes ne se sont pas fatigue de la nuit. Les autres representants des communautes canines et poulailles de Savusavu repondaient joyeusement a leurs celebrations vocales. Moi, dans mon demi-sommeil, je revassais alternativement que j'etranglais le coq ou que j'egorgeais le chien, suivant que l'un ou l'autre donnait de la voix. Pour tuer la nuit, j'ai fait plusieurs aller-retour a la cuisine pour grignoter. Il y avait la une petit souris qui se faufilait entre les petits plats (voire photo), et beaucoup de blattes. Les blattes ont le merite d'etre silencieuses, soit, mais elles n'ont pas leur pareil pour ce qui est de la laideur. Elles rampaient sur le plafond, couraient sur le carrelage, jaillissaient des armoires, filaient dans les murs par de petits trous invisibles. Il y en avait un nombre affolant, d'une taille affolante. Je n'en ai pas ecrase une seule. C'est marrant, je suis devenu comme mon cher coloc Michi qui poussent des hauts cris quand je presse une pantoufle sur une punaise. Curieusement, je rechigne maintenant a obliterer le moindre insecte, aussi insignifiant soit-il. Cela m'est venu lentement au cours de mon sejour en Inde, je crois... Les religions indiennes, en particulier le jainisme, enseignent le respect de la vie sous toutes ses formes. Peut-etre la lecture de "La vie de Pi" et de "Papillon" m'a-t-elle aussi influence... Dans ces livres, les narrateurs se font les amis de la nature en la respectant. Enfin bref, je n'ai pas aplati les blattes. Je me suis contente de lever les pieds quand elles s'approchaient un peu trop. Puis je suis retourne a ma couche pour ecouter le recital du clebs et du coq. Pas ferme l'oeil de la nuit.

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