10 mars 2006


Apprendre l’indonesien en riant avec Luki Luki (Des rails sur la prairie). J’avoue n'avoir pas encore decouvert comment dire “pied-tendre” et “corne verte” en bahasa.

Les charmes du Bahasa

13000 petits bouts de terre ont emerge des profondeurs oceaniques pour former l’archipel indonesien. Entre ces ilots, 7000 sont habitees, depuis des milliers d'annees, par homo sapiens, espece derivee du singe qui passent son temps a fumer des plantes sechees et a inventer des trucs inutiles. Homo sapiens a egalement mis a profit son temps libre pour se diversifier en des centaines de peuplades differentes, qui ont evolue independamment les uns les autres, creant leurs propres dialectes. Ainsi, l'Indonesie est un enorme patchwork linguistique. Dans la seule Papouasie indonesienne, plus de 500 blablas bien distincts sont parles par les differentes tribus. Par consequence, l’unite de la nation indonesienne depend essentiellement du Bahasa Indonesia, literalement: langue indonesienne, qui est parle par la quasi-totalite des habitants de l’archipel et leur permet de communiquer entre eux. Le bahasa est la langue de l’education et celle du gouvernement.

Dans la plupart des pays du monde, la langue nationale decoule du dialecte de l'une des regions du pays. Le francais etait le parler de l'Ile-de-France, l'italien le baratin de Florence. Dans d'autres pays, la langue nationale a ete imposee par une puissance colonisatrice ou apportee par les nouveaux habitants du pays. Chose etonnante, en Indonesie, on ne constate aucun de ces deux scenarios. Le bahasa n’a jamais ete parle en tant que langue maternelle dans l'archipel, et ne l'est toujours pas. Il n'a pas non plus ete impose par une puissance exterieure.

Pendant des siecles, le malais a ete utilisee comme lingua franca a travers les multiples iles indonesiennes, permettant la communication entre marchands et entre monarques. Cela s'explique certainement par l’influence des marchands malais a l'epoque. Ainsi, lorsque l’etat indonesien fut cree en 1949, on ne choisit pas le javanais ou un autre dialecte comme langue nationale, mais, logiquement, le malais, deja utilise depuis longtemps pour s'entendre entre les ilots. Il faut preciser que l'indonesien n'est pas exactement la meme langue que le malais. Les deux langues se differencient par quelques variations dans la prononciation. Resultat de cette singuliere evolution, tous les Indonesiens parlent le bahasa en tant que deuxieme langue, mais continuent d'user de leurs dialectes respectifs au logis et avec leurs amis. Il arrive egalement qu'ils melangent subrepticement le bahasa avec leurs dialectes pour converser.

Venons-en a la langue elle-meme: le bahasa... le bahasa est une langue remarquable par sa beaute et sa simplicite!

Le bahasa est une langue qui se laisse agreablement derouler sous le palais. C'est une langue de voyelles, et les voyelles, ca rythme la langue, la rend sonore et melodieuse. Le bahasa n'est pas embarasse par de vilaines consonnes sur lesquelles les cordes vocales butent dans leurs elocutions. Les R ne se raclent pas du fond de la gorge, mais se roulent a petits coups de langue sur le palais. Le bahasa est joli, on se delecte a l'ecouter. Le bahasa n'est jamais criard. En fait, en bahasa, on n'eleve jamais la voix. Au fond, j'ignore s'il s'agit d'un trait culturel des habitants de l'Indonesie, ou si cela est interdit par les proprietes de la langue elle-meme; dans tous les cas, en Indonesie, on ne crie pas, meme quand on n'est pas content. Cela colle bien avec l'habitude des indonesiens de sourire continuellement... Les indonesiens sont un peuple jovial et paisible.

Je n’ai certes pas appris le bahasa comme je l'eus voulu souhaite. Les innombrables plages de sable ont genere une certaine flemmardise qui a nuit a mes ambitions. D'autre part, j'ai passe beaucoup de temps sur des iles ou l’anglophonie est (trop) courante: Bali et Lombok, en particulier. Heureusement, mon voyage a Sulawesi a donne un coup de pouce (ou un coup de pied au cul, suivant de quel point de vue on considere la chose) bienvenu a mon apprentissage. Mon sejour a Jogja est l'occasion de prendre quelques cours et de parfaire mon vocabulaire en lisant de la litterature vulgaire (voire photo). Je baragouine maintenant assez bien le bahasa pour tenir une conversation. Et pour vous parler de ses charmes.

Bien que Java possede une ecriture traditionnelle proche de celle utilisee en Thailande, l’Indonesien s’ecrit avec l’alphabet latin, peut-etre a cause de l'influence hollandaise. L’orthographe du bahasa ne presente aucune difficulte: il s’ecrit exactement comme il se parle, contrairement a la langue que j'utilise en ce moment. Sa grammaire, elle, deconcerte par sa simplicite. Cette nudite grammaticale s'illustre au mieux par la liste des difficultes classiques absentes en Indonesien: la conjugaison, les temps des verbes, les cas, les genres, l’accord des adjectifs, l’accord des noms… La langue indonesienne est deja presque toute nue quand on la rencontre pour la premiere fois. Il suffit de laisser glisser son leger sarong le long de ses hanches pour la connaitre dans son intimite. C'est tellement facile, en fait, que c'en est presque rageant, pour des types comme nous qui nous sommes acharnes pendant des annees a apprendre joujoucaillouhibou et les malditas declinaisons teutonnes. Le bahasa prouve bien qu'une langue peut marcher sans toutes ses conneries.

Alors, comment ca marche, m'interrogerez-vous? Bin, le bahasa, c'est un peu du petit negre. De par sa structure, il ressemble enormement au chinois.

Les verbes ne se conjuguent pas et n’ont pas la fonction de marquer le present, le passe ou le futur. Cette fonction est remplie soit par de courts mots qui signifient "deja", "pas encore" ou "jamais", soit par d’autres qui indiquent directement la position temporelle de l'action (comme “akan” pour le futur) ou par des indications de temps ("hier", "quand tu auras fini ta soupe" ou encore "il y a 30 siecles").

Les prepositions “le” ou “un” ne sont utilisees que lorsqu’elles sont strictement necessaires. Les prepositions signifiant “je”, “moi”, “mon”, “mes” sont regroupees en un seul mot. Le pluriel est indique par le dedoublement du mot (comme en chinois). Cependant, le nom n'est dedouble que lorsque c'est necessaire; si un quelconque mot dans la phrase indique que le nom est au pluriel, le dedoublement devient superflu.

Un exemple. Banane=pisang. Des bananes = pisang pisang. Je, moi: aku. Mes bananes = pisang pisangku (aku est ici contracte et colle au sujet). As-tu mange tes bananes = Toi deja manger banane banane toi? = Kamu sudah makan pisang pisangmu?

Moi, j'adore la complexite de la langue francaise... Je trouve que les subtilites du francais font toute sa beaute. Bien que l'allemand m'a fait suer, souffrir, m'a torture jusque dans mes entrailles, je decele quelque chose d'admirable dans sa structure stricte et solide, qui en fait une langue a la precision quasiment diabolique. Ce n'est donc pas moi qui vais cracher sur les langues europeennes, ni meme sur l'academie francaise. Neanmoins, je me demande objectivement quel peut bien etre l’interet de parler des langues compliquees comme les notres, qui sont le cauchemar des ecoliers qui les apprennent. Je crois que les possibilites de s'exprimer ne sont nullement reduites par la structure simplifiee du bahasa.

La plus grande difficulte de l’indonesien reside dans l’apprentissage du vocabulaire. Il n’y a evidemment que tres peu de mots qui presentent des similarites avec les langues latines ou germaniques (bien que le bahasa ait emprunte quelques mots au hollandais et au portugais). En outre, le bahasa presente un systeme de suffixes quelque peu epineux... Cependant, les prefixes sont bien pratiques. Ainsi, pour faire une phrase a la forme passive, il suffit d'ajouter une syllabe devant le verbe. Pour exprimer le superlatif, on colle trois lettres a l'adjectif. Les prefixes deviennent irritant lorsqu'ils se collent aux deux bouts aux chaussettes (prefixes) et aux cheveux (affixe) d'un seul mot en meme temps. L'avantage est qu'il est facile de former de nouveaux mots (ou de deviner la signification de ceux-ci) une fois qu'on connait la base; les suffixes regroupent les mots de signification similaire autour d'une base commune. L’importance du systeme de suffixes est soulignee par le fait que tous les mots d’une meme famille sont regroupes dans le dictionnaire. Le mot “penjualan” (suffixes pen- et -an), par exemple, ne se trouve pas sous p dans le dictionnaire, mais en dessous de "jual”. Ainsi, il est indispensable d'extraire la base du mot pour en decouvrir la signification dans le dictionnaire.

Pour finir, voila quelques particularites de l’Indonesien et quelques mots que je trouve charmants.

* En bahasa, on ne repond pas souvent aux questions par "oui" ou "non", mais plutot par "pas encore", "deja", ou "jamais" (respectivement belum, sudah, tidak pernah). As-tu jamais mange du marshmallow au fromage? Pas encore. As-tu leche le sabot de ce cheval? Deja.

* Prete a confusion: mencium (prononcer menchioum) signifie faire des bisous, mais aussi sentir (avec le pif). Marah = en colere. Ramah = sympathique.

* Le verbe etre n'est pas utilisee dans la langue orale indonesienne. Je suis le roi du monde = je roi du monde. Encore un truc qui simplifie les choses.

* Les Indonesiens ont coutume d'engager la conversation en disant: "Mau ke mana?", c'est-a-dire: "Ou vas-tu?", plutot que par "Comment ca va?" (Apa kabar?). C'est assez deconcertant, a premier abord, et meme un peu agacant. Cette facon singuliere de saluer m'a rappele l'Irlande ou on interpelle plus souvent par "Lovely day, isn't it?" que par "How is it going?" (les irlandais repondent invariablement a la deuxieme question par "Not too bad, yourself?". A la premiere question, on ne sait jamais quoi repondre.)

* Il existe deux mots differents pour "nous", selon que la personne qui parle veuille inclure son interlocuteur dans le sujet de la phrase ou non. Nous avec l'interlocuteur: kita. Nous sans l'interlocuteur: kami. Ca aussi, c'est comme en chinois.

* Les mots "frere" et "soeur" n'existent pas en bahasa. L'indonesien distingue les freres et soeurs par leur age, non par leur sexe. Frere/soeur cadet = adik. Frere/soeur aine: kaka. On ajoute ensuite garcon ou fille au mot pour former "frere cadet" (adik laki-laki) ou "soeur ainee" (kaka perempuan).

* En Indonesien, “vieux” se dit differemment, qu’il s’agisse de choses ou de personnes.

* De jolis mots. Le papillon = kupu-kupu. La fleur = bunga. L’araignee = laba-laba. Le dauphin = lumba-lumba. Le canard = bebek. Le soleil est “mata hari”, literalement: l’oeil du jour. J'ai les fourmis aux pieds = Saya kesemutan di kaki. La rue = jalan. Se promener = jalan-jalan.

* Petit bonus culturel: Les prieres, qui s'echappent des hauts-parleurs en plastique pour rythmer les journees indonesiennes, sont toujours prononcees en arabe, comme dans tout le monde musulman. Les ecoliers musulmans apprennent des bases d'arabe pour comprendre le Coran.

1 commentaire:

kalachnikow a dit…

Ya, mengerti! Kenapa mau belajar bahasa? Kamu harus ke Indonesia. Negara itu cantik dan panas. Selamat malam!